Geoffrey James : Regard critique
Le photographe Geoffrey James et le collectif Young-Hae Chang Heavy Industries sont à l’affiche du Musée de Joliette. Deux expos majeures.
En 1975, le Canadian Magazine (supplément du Toronto Star) le décrétait "le critique d’art le plus influent au Canada". Geoffrey James, historien et journaliste né à St. Asaph au pays de Galles, vivant à Toronto depuis 1995 mais ayant résidé à Montréal de nombreuses années, aurait pu continuer longtemps sa brillante carrière de critique. Mais il décida de se consacrer totalement à la photographie à partir des années 80 et a élaboré une oeuvre majeure.
Certes, à ses débuts, sa série de panoramas de parcs allait trop vers une forme esthétisante d’art. Mais James a rapidement trouvé un ton plus social et engagé. Il a aussi développé une vision plus personnelle et moins tournée vers certaines manières de la postmodernité qui, dans les années 80, se laissait aller dans des références néoclassiques résolument académiques. C’était l’époque où la colonne et la ruine antiques retrouvaient malheureusement grâce auprès de bien des artistes… Mais au début des années 90, sa série Amiante s’affranchit définitivement de cela. Elle nous permet de sentir les tensions qui existent entre la beauté du paysage industriel et le lourd passé qu’il symbolise. Un cliché comme Vimy-Ridge (1993) montrant une impressionnante montagne de résidus d’amiante est une image exceptionnelle qui marquera certainement l’histoire de la photo au Canada. Tout comme est extrêmement intelligente (dans le choix du sujet et la manière de le traiter) sa série Clôture fuyante (Running Fence) qui fut montrée à Montréal lors du Mois de la photo en 1999. Cette série documente la clôture bricolée (faite de "feuilles de tôle ondulée, grillage et poteaux d’acier…") qui, non loin de San Diego, servait de frontière entre les États-Unis et le Mexique. Une réflexion sur le décalage entre la modernité apparente de la société états-unienne (et de l’Occident) et l’archaïsme du désir de se protéger de l’autre qui y prévaut souvent… La récente loi dans l’État de l’Arizona qui permet d’interpeller n’importe quel individu soupçonné d’être un immigrant illégal, et donc de faire du profilage racial, ne contredira pas cette lecture des faits. Tout aussi réussies furent ses images sur Toronto et sur sa banlieue. James y montre la cohabitation de quartiers anciens et de quartiers modernes, la mutation de terres agricoles en banlieues uniformes… Les architectures qu’il y montre lui permettent d’explorer de riches jeux formels mettant en scène des ruptures historiques et des visions urbanistiques très différentes. Le travail d’Isabelle Hayeur doit beaucoup à cette dernière série sur les banlieues torontoises.
Lorsque James renoue avec une esthétique plus moderne, plus brute et plus formaliste, il réalise ses meilleures photos. L’expo Utopie/Dystopie est une rétrospective marquante.