Bleu, Actes de présence et Jon Pylypchuk : MAC3
Le MAC multiplie les expos. Accompagnant le prix Sobey, voici trois présentations qui méritent la visite: Bleu, Actes de présence et Jon Pylypchuk.
Quelle bonne idée! Le Musée d’art contemporain a confié la conception d’expos à deux jeunes femmes qui ne sont pas de la maison. Une manière d’offrir de l’expérience à de jeunes commissaires. Une façon de jeter un regard différent sur les 7600 oeuvres qui forment la collection du MAC.
Bleu à l’horizon
La première, Marie-Eve Beaupré, a un parcours déjà impressionnant: doctorante en histoire de l’art, elle a travaillé avec Louise Déry à l’expo de Stéphane La Rue au Musée des beaux-arts de Québec, à celle de François Lacasse au Musée d’art de Joliette… Ces temps-ci, elle poursuit sa réflexion sur la couleur (elle fait d’ailleurs son doctorat sur le monochrome au Canada).
Il faut dire que la couleur est un sujet bien actuel qui permet de pourfendre dans ses derniers retranchements l’idée qu’il y aurait une nature des choses… Des goûts et des couleurs, il faudrait donc discuter et comprendre comment ceux-ci sont le produit d’une culture. Depuis quelques années, l’historien Michel Pastoureau multiplie les analyses sociales sur les couleurs et leurs usages (Dictionnaire des couleurs de notre temps, Bleu, Noir…). D’autres penseurs ont exploré le domaine: la linguiste Annie Mollard-Desfour, le scientifique Philip Ball, l’historien de l’art John Gage…
Étrangement, dans l’expo de Beaupré, c’est plus le rapport formel à la couleur qui prend le dessus que son usage social. Il faut dire que le corpus des oeuvres du MAC favorisait cela. Modernité oblige. La commissaire en profite pour faire des rapprochements formels intéressants: déconstruction de la perspective chez Bill Vazan et Rita Letendre, utilisation de formes géométriques chez Josef Albers et Charles Gagnon, composition rythmée de petits cercles chez Denis Juneau et Joyce Wieland… Elle a fait une sélection d’oeuvres majeures toutes dans la palette du bleu, couleur préférée de notre époque et qui domine même en art, en particulier la collection du MAC. C’est, entre autres, une occasion de revoir la fabuleuse installation lumineuse Atlan de James Turrell. Beaupré a installé ses choix avec un dynamisme qui manque souvent aux musées. Un collage qui est donc aussi physiquement impressionnant. De plus nombreux panneaux explicatifs (et plus étoffés) auraient pu rendre l’expérience encore plus intelligente.
Corps à corps
La performance semble avoir regagné du galon. L’expo de Marina Abramovic en début d’année au MoMA a contribué à ce phénomène. L’artiste Manon De Pauw nous propose Actes de présence, un parcours où le corps est un matériau, un outil de réflexion pour dialoguer et remettre en question notre rapport au monde.
Seconde expo à être concoctée par une commissaire invitée au MAC ces jours-ci, Actes de présence présente aussi une brochette d’artistes impressionnants et attendus (Suzy Lake, Michael Snow, Dennis Oppenheim, Norman McLaren, Bruce Nauman, Gina Pane, Manon Labrecque…), mais n’a pas su éviter le cliché d’inclure Eadweard Muybridge. Elle a toutefois le mérite d’intégrer un artiste moins connu comme Chih-Chien Wang, qui mérite ici sa place. Une expo où il aurait été aussi nécessaire d’avoir plus de panneaux explicatifs sur la démarche des artistes (je ne suis pas sûr que tous comprendront les liens entre les cônes faits de rubans à mesurer de Jana Sterbak et le thème de cette présentation…). Malgré ces bémols, une très bonne expo.
Esprit collectif, es-tu là?
Bon, nous voilà relancés sur les liens entre l’art, le fantastique, le merveilleux… Retour du romantisme ou du symbolisme? Vu le manque d’implication politique directe des artistes de cette mode fantastico-contemporaine, nous devrions plutôt parler de symbolisme. En regroupant toutes ces formes actuelles d’art fantastique, nous visons large, il est vrai… Voyons dans cette nébuleuse néo-symboliste le désir de notre époque d’échapper, comme elle le peut, au matérialisme dominant? Sauve qui peut… Notre époque tente peut-être de réfléchir à ses monstres, à ses refoulés, à ses non-dits. Tout cela est très bien en effet. Mais alors que le symbolisme était un art du code secret, de la crypte défiant les codes de représentation dominants, l’art de nos jours est un clin d’oeil souvent forcé et très clair aux films de science-fiction et d’horreur où la déconstruction n’est pas toujours au rendez-vous… Après l’expo de Marcel Dzama au MAC, celle de Tim Burton au MoMA à New York (qui est à Toronto jusqu’en avril), voilà Jon Pylypchuk , artiste né en 1972 à Winnipeg (comme Dzama, mais lui en 1974) et vivant maintenant à Los Angeles. Il a d’ailleurs cofondé "en 1996 la Royal Art Lodge, un collectif d’artistes, avec Michael Dumontier, Marcel Dzama, Neil Farber, Drue Langlois et Adrian Williams". Son oeuvre, plus brute que celle de Dzama, ne manque pas de force, mais vu l’esprit de l’époque, ne semble pas totalement originale…
À voir si vous aimez /
Michel Pastoureau, Michael Snow et Marcel Dzama
Marie-Eve Beaupré:
Manon De Pauw:
Jon Pylypchuk: