Diane Létourneau : Sur la peau ténébreuse de l'abîme
Arts visuels

Diane Létourneau : Sur la peau ténébreuse de l’abîme

Captivante énigme de clairs-obscurs et de mystères, la dernière exposition de Diane Létourneau, La part du lieu, nous envoûte grâce à un beau paradoxe, entre surface et profondeur, au coeur de la représentation.

Située au 36 de la rue Couillard et sous la direction de Marcel Jean, la Galerie Le 36 a su garder au fil du temps de hauts standards tant par le choix des artistes présentés que par celui des pièces. Les deux imposants triptyques se faisant face dans le modeste lieu d’exposition donnent une fois de plus raison à cette vision. Ces deux oeuvres, qualifiées à juste titre de "retables" par leur auteure Diane Létourneau et réalisées sur de grands papiers où se déposent des affleurements irréguliers de fusain, de pierre noire et de pastel, semblent susciter d’elles-mêmes la contemplation. Peut-être et surtout parce que la construction de ces morceaux denses et complexes requiert une bonne dose d’attention pour se laisser déchiffrer.

D’abord, ce sont les parcelles d’architectures faites d’ogives gothiques qui nous attirent. Nous croyons alors discerner le plafond d’une haute cathédrale ou les arcades d’antiques catacombes. Mais dès que nous nous y attachons plus longuement, nous mesurons le paradoxe de ces structures. En effet, ces dernières ne pourraient rien soutenir en réalité. Ces voûtes imaginaires, partagées par les ombres et les lumières, perdent leur substance, les clairs-obscurs dramatiques n’y font plus sens et leurs volumes se dématérialisent dans la démultiplication des sources lumineuses. On s’y sent engouffré, un peu comme si l’illusionniste Escher avait revisité la suite des Prisons de Piranesi tout en conservant la virtuosité graphique et la "manière noire" du grand graveur italien.

Puis vient la fascination, l’attention se fixe à la surface des oeuvres, tant dans les griffures noires et frénétiques rehaussées de pastels pâles ou d’effacements vigoureux que dans les franches entailles sous forme de trappes ou "pop-up". Tous ces éléments mettent l’accent sur la matérialité de l’oeuvre, nous obligent à voir le signe graphique pour lui-même, avant la représentation. Même chose avec les papiers à forte granulation qui retiennent en partie les coups du dessin à la pierre noire et nous empêchent ainsi de plonger au coeur des perspectives. Nous sommes ramenés, une fois de plus, à l’épiderme du papier. Et alors qu’on croyait pouvoir s’abandonner au dessin et à la plastique pour elle-même, l’esquisse d’une porte au fond d’un couloir obscur nous fait replonger en elle…

Dans ce dédale cubiste de divers espaces et perspectives, le jeu des incongruités est habile et convaincant. Mais il ne serait rien qu’une anecdote si la facture (ou la façon de dessiner) n’était pas aussi bien maîtrisée. C’est d’ailleurs ce qui nous permet de faire la différence entre un Escher et un Piranesi: précise et minutieuse pour le premier, enlevée et expressive pour le second. Ainsi, si le trait exprime le caractère et l’esprit de celui qui le dessine, Diane Létourneau se comprend comme une passion vacillante, entre force tranquille et délicatesse.

À voir si vous aimez /
Josée Landry Sirois, Hurtubise, Richard Mill