Revue 2010 / Arts visuels : Une année radicale?
Entre Damien Hirst (artiste le plus cher au monde) avec son travail tape-à-l’oeil et Louise Bourgeois (qui est morte fin mai à l’âge de 98 ans), qu’y a-t-il en commun? 2010, année de tensions.
L’art de la surface
Bien sûr, nous avons aussi participé à la vague, mais ce fut pour la critiquer… Cet automne, les médias québécois ont beaucoup parlé de l’Anglais Damien Hirst qui avait une petite expo de produits dérivés et décoratifs à la Galerie de Bellefeuille.
L’expo La vie en Pop. L’art dans un monde matérialiste, au Musée des beaux-arts à Ottawa, fut cet été un écho de cette situation plutôt déprimante. Elle mit majoritairement de l’avant de gros canons de l’art décoratif de la scène internationale (Koons, Hirst, Murakami) qui fabriquent des objets de luxe pour riches hommes d’affaires collectionneurs qui ont récupéré l’art de l’humour et de l’ironie qui servaient autrefois à les critiquer.
Nous assistons à une peoplisation de la culture, à une "glamourisation" de l’art qui passe par une négation de l’art intellectuel et contestataire. Un autre exemple, parmi tant d’autres: l’insipide pavillon du Canada à l’Expo universelle de Shanghai, qui était totalement cliché (stand à hot-dogs, images de hockeyeurs projetées sur des murs…) et qui ne laissait presque aucune place aux arts visuels. Contraste majeur avec le pavillon de la France qui, lui, donnait la part du lion aux arts… Heureusement, l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) et Art souterrain avaient invité à Shanghai des artistes tels qu’Evergon, BGL, Alana Riley…
Art souterrain poursuivait là-bas une emballante aventure qui, en mars dernier, en était à sa seconde édition à Montréal, avec une centaine d’artistes présentés dans le réseau souterrain de la ville.
La quête de radicalité
La qualité et une certaine radicalité étaient tout de même au rendez-vous en 2010. Au Musée d’art contemporain, les sculptures de feutre et de laine de Luanne Martineau (vivant en Colombie-Britannique) étaient totalement inusitées et renouaient avec l’esprit des recherches d’Eva Hesse. Toujours au MAC, Runa Islam (née au Bangladesh, mais vivant à Londres) montrait comment l’image filmique ou photographique pouvait défier les codes dominants actuels.
La radicalité, c’était aussi Otto Dix au Musée des beaux-arts de Montréal. Après une année 2009 plutôt sage au MBA, voilà un point de vue qui était absolument nécessaire. L’expo s’achève le 2 janvier et si vous ne l’avez pas encore vue, courez-y. Dix a offert un miroir décapant et provocant à la société de son époque. Qui est capable de faire cela de nos jours? Très peu d’artistes… Après quelques expos décevantes, le Centre canadien d’architecture (CCA) a lui aussi renoué avec des partis pris forts et excitants avec, entre autres, deux grands événements intelligents, Iannis Xenakis et Trajets: comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement.
Mais encore…
Mais il faudrait aussi signaler un grand nombre d’expositions d’artistes canadiens et québécois qui furent plus radicaux: Luis Jacob à la Fonderie Darling, Emmanuel Galland et François Lalumière qui ont travaillé la façade du centre Articule, Alexandre David au centre Expression, Gabriel Coutu-Dumont chez Clark, Catherine Bolduc à la Galerie SAS et à la Maison des arts de Laval, BGL au Centre de design de l’UQÀM, Pascal Grandmaison chez René Blouin…
Flip /
La Fondation DHC a réussi un grand coup cette année: la présentation des oeuvres de Jenny Holzer. Cette artiste a su bâtir une oeuvre engagée qui évite (presque toujours) la littéralité.
Flop /
Le prix Sobey 2010. Quel ennui! Très décevante année pour ce prix qui avait su nous enthousiasmer depuis 2002. Disons que ce n’étaient pas les meilleures prestations des artistes sélectionnés… Une remise en question du processus de sélection est-elle nécessaire? Inclure un ou deux critiques d’art dans le jury serait certainement une solution.
Top 5 /
1. Marie-Claude Bouthillier
Son installation picturale Dans le ventre de la baleine, au centre Optica, démontrait bien que la peinture est encore totalement d’actualité quand elle sait déborder de son cadre.
2. Otto Dix
Une expo majeure au Musée des beaux-arts de Montréal, bien mieux montée et pensée que sa version new-yorkaise.
3. Ces artistes qui impriment
Ce Regard sur l’estampe au Québec, expo montée par le commissaire Gilles Daigneault à la Grande Bibliothèque et aux Archives nationales du Québec, était un parcours passionnant de l’art contemporain d’ici.
4. Colin Campbell
Mort en 2001, cet artiste de Toronto totalement transgressif méritait depuis longtemps cette rétrospective. Elle aurait dû avoir lieu dans un musée, mais c’est le centre Oboro qui a eu la bonne idée de la présenter.
5. Ex æquo: Emanuel Licha et John Baldessari
À la galerie SBC, dans Pourquoi photogénique?, Licha a su interroger les liens entre cinéma hollywoodien et manipulation des médias par les gouvernements. Au centre VOX, revoir les vidéos radicaux de Baldessari fut totalement inspirant.