Shary Boyle : Mordre dans la chair du monde
Arts visuels

Shary Boyle : Mordre dans la chair du monde

La Torontoise Shary Boyle s’affirme comme une figure majeure du monde de l’art canadien avec son solo La chair et le sang.

L’année 2011 commence en grand avec Valérie Blass (à la Parisian Laundry) et Shary Boyle (à la Galerie de l’UQÀM). Ces deux artistes ont participé au fabuleux 27e Symposium de Baie-Saint-Paul (où elles sont devenues amies) qu’avait commissarié Martin Dufrasne. Le titre en était Incroyables et merveilleuses et l’événement mettait en scène cet intérêt des artistes actuels à "mêler le sordide et l’enchanté en investiguant des mondes inventés où l’étrangeté sait aussi se montrer séduisante et magnifique".

Bien sûr, comme dans toute mouvance artistique, il y a le meilleur et le pire, et cette tendance néo-trans-post-symbolistico-surréaliste est presque devenue un cliché ces temps-ci. Nous allions donc à l’UQÀM avec intérêt et circonspection. Or, Boyle ne fait pas dans l’esprit Twilight, mais bien dans une forme de croisement entre Tim Burton, la famille Addams, les contes des frères Grimm et Kiki Smith. Certes, on y retrouve des personnages fantastiques, des femmes ailées, des jeunes filles dont les orbites pleurent des perles ou sont transpercées par des fleurs noires, des mannequins et des épouvantails qui semblent possédés… Mais son travail soulève des questions vraiment profondes.

La richesse du propos chez Boyle vient en partie de la tension qu’elle sait installer entre texte et image. Un exemple: une petite sculpture montrant un homme et une femme assis au coin d’un feu de camp, où trônent étrangement cinq têtes d’enfants empilées, n’est pas qu’une énième réappropriation des films d’horreur. Intitulée Famille, elle est en fait une réflexion intelligente (et vraiment inquiétante) sur la cellule familiale comme lieu de dévoration symbolique de l’autre. Tout à fait dans l’esprit du célèbre tableau Saturne dévorant ses enfants de Goya. Ailleurs, la sculpture d’une femme toute blanche, intitulée Virus (White Wedding), se transforme, grâce à une projection de couleurs vives et de papillons, en un être étrange, sorte d’écran aux fantasmes (du marié?)…

Grâce à son regard sur l’être humain, même (et surtout) ses petites porcelaines parviennent à pervertir astucieusement ce genre si insipide. Elle arrive aussi à se tenir loin de la récupération de ce moyen d’expression par le monumental et le tape-à-l’oeil, comme le fait Jeff Koons.

L’espace de la Galerie de l’UQÀM n’est pas toujours le plus intéressant et la dernière pièce de l’expo (White Light) en pâtit grandement (elle semble un peu coincée). Néanmoins, le travail de Boyle a atteint, en quelques années, une maturité impressionnante.

Jusqu’au 12 février
À la Galerie de l’UQÀM
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Kiki Smith