Herman Kolgen : L'imaginarium d'Herman Kolgen
Arts visuels

Herman Kolgen : L’imaginarium d’Herman Kolgen

Réservez votre soirée du 2 mars, alors que le Mois Multi 12 s’invite au Grand Théâtre pour le spectacle monumental d’un artiste montréalais d’exception: Herman Kolgen. Merveilles en vue…

Après avoir regardé sur le Web certaines de ses oeuvres marquées par la photographie d’avant-garde, je ressentais déjà une empathie naturelle: j’avais hâte à cette entrevue. D’emblée, c’est une voix amie, enthousiaste et pleine d’humilité qui me répond ce jour-là. Herman Kolgen m’explique d’abord la genèse de la première des trois oeuvres vidéographiques qui seront présentées lors de cette soirée spéciale, où l’Orchestre symphonique de Québec et le public seront réunis sur scène: "Je ne suis pas un vidéo-jockey, et comme la création d’images originales me demande un investissement important, habituellement, je ne crée pas d’images pour d’autres. Mais cette fois-là, j’ai fait une exception."

Ayant été percussionniste pendant de nombreuses années, Kolgen se laissa aisément convaincre par la Ville de Rennes lui demandant de réaliser une présentation vidéo en trois "mouvements" pour accompagner la pièce Different Trains du compositeur contemporain Steve Reich (voir encadré): "J’adore Reich pour le rythme de ses oeuvres; son apport à la musique actuelle et électroacoustique est considérable. Suffit de penser aux loop et à l’échantillonnage, qu’il fut l’un des premiers à utiliser. L’oeuvre en question, bouleversante, est aussi très accessible." Vu la charge historique et émotive du sujet, Kolgen précise: "Il ne fallait pas que ce soit une simple illustration, mais plutôt une oeuvre parallèle à la musique qui en respecte l’esprit, mais cherche surtout à la transcender."

Or, Different Trains n’est seulement que la première partie de ce grand spectacle, elle sera suivie par Overlapp, une pièce de transition préparée spécialement pour le Mois Multi 12: "Cette oeuvre est en réalité un typhon que j’ai filmé pendant une nuit entière, depuis une chambre d’hôtel. Par son sujet, elle me permet d’entrer dans le monde de Dust, une recherche sur le caractère organique et chaotique de la poussière. Un véritable saut au coeur de cette matière microscopique que l’on essaie d’évacuer de notre monde aseptisé", ajoute Kolgen.

Puisant son inspiration dans la photographie moderne, notamment dans le fameux Élevage de poussière de Man Ray et Marcel Duchamp, Kolgen s’est donc penché sur cette poussière que l’on trouve en général laide et sale. Des détritus d’insectes aux amas de "minous", on se rend compte que la poussière recèle des qualités plastiques fantastiques, pour ne pas dire féeriques: "Mon but par cela était de la rendre belle, j’ai même créé ma propre poussière virtuelle à l’aide d’algorithmes complexes pour devenir maître de ses déplacements." On ne peut que s’incliner devant l’ingéniosité de ce véritable tour de force, d’un graphisme impeccable. Cette dernière partie est une petite perfection à ne manquer sous aucun prétexte.

Programmation complète au moismulti.org

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LE REVE, LE CAUCHEMAR…

Different Trains est une pièce maîtresse dans l’oeuvre du compositeur américain Steve Reich et un point d’orgue dans le courant minimaliste. Cette composition pour cordes et échantillonnages (créée en 1988) est un sommet dans l’art de fusionner l’exécution musicale acoustique et le préenregistrement. La bande sonore, composée de témoignages historiques, fut alors modifiée au point d’ajuster les intonations vocales des archives afin de les rendre conformes aux accents contenus dans la partition. Le tout, bien sûr, synchronisé.

Trois époques distinctes y sont mises en perspective: l’Amérique de l’avant-guerre (celle de 1939-1945), l’Europe durant la guerre et, pour conclure, l’après-guerre. L’auditeur est alors témoin d’un cycle perpétuel, et le temps devient relatif. Lorsque le créateur en art numérique Herman Kolgen fut invité à faire la création visuelle de Different Trains à Rennes au festival Cultures Electroni[k] l’année dernière, le défi était de taille. Il reprendra sous peu l’exercice en compagnie d’un quatuor à cordes augmenté:16 musiciens au total.

"Je voulais faire une oeuvre visuelle qui puisse durer, ne surtout pas définir une époque précise, indique-t-il. Le spectateur voit défiler les images, comme s’il était dans le train, parmi les autres. Les images sont parfois abstraites ou expressionnistes. Au deuxième mouvement (la guerre), la vision est altérée par le ruissellement de l’eau sur l’écran: où va-t-on? On doit doser l’image avec ce témoignage lourd à supporter (l’holocauste et la déportation des Juifs). Au contraire, lorsque le troisième mouvement débute, tout se précise. Des structures de bâtiments apparaissent et s’envolent alors dans le ciel, la gravité n’existe plus." Et le rêve continue. (A. Léveillée)