Géographie expérimentale : Refaire sa géo
Géographie expérimentale observe l’espace et l’environnement bâti par la lorgnette de l’art. Le commissaire Nato Thompson nous initie à cette jeune approche.
Lu en visitant Géographie expérimentale: "Les plaques tectoniques se déplacent au même rythme que poussent les ongles des doigts." L’amusante information sous-tend la démarche d’Ilana Halperin dans Boiling Milk: accroupie devant une source thermale, l’artiste y fait simplement bouillir du lait.
"Le noeud de l’exposition se situe souvent, comme dans ce cas, à la jonction de l’intime et du géologique, explique depuis New York le commissaire Nato Thompson. La plupart des oeuvres s’intéressent à comment nous sommes le produit de ce qui nous entoure et comment nous produisons, en retour, ce qui nous entoure."
Ailleurs, la visite prend un tour plus politique. Dans The Road Map, le collectif Multiplicity accompagne deux voyageurs traversant différents contrôles frontaliers en périphérie de Jérusalem. Devinez qui rencontrera le plus de résistance: l’un détient un passeport palestinien, l’autre un passeport israélien. Puis, changement de ton avec Alex Villar qui, en escaladant comme un enfant gavé de friandises différentes parties du mobilier urbain, en détourne l’utilité première. "On dirait du Buster Keaton, rigole Thompson, mais il nous pousse à repenser le mouvement à travers la ville. Chaque fois que je marche dans la rue, je ne peux m’empêcher de remarquer comment l’environnement bâti est souvent étrange."
Qu’ont donc en commun ces travaux réunis sous l’appellation-parapluie "géographie expérimentale"? "Ils posent un regard artistique sur l’espace, du très urbain au profondément naturel. Parmi les différentes perspectives, il y en a qui découlent plus de la géographie traditionnelle – académique, empirique -, d’autres de l’art comme on l’entend habituellement – poétique, métaphorique, abstrait. Mes choix forment une cosmogonie."
Drôles de cartes
L’exposition offre également une belle vitrine à la cartographie expérimentale, une approche qui révoque de façon ludique le regard traditionnel que l’on pose sur le complexe militaro-industriel (une carte des armes de destruction massive présentes sur le territoire étatsunien) ou sur la toponymie (l’Institute for Infinitely Small Things a demandé aux résidents de Cambridge, MA, de rebaptiser à leur guise les rues et les parcs de leur ville). "Nous cartographions de plus en plus notre existence grâce au système GPS et à des applications comme Foursquare, rappelle Thompson. C’est dans l’air du temps. À une époque où nous sommes constamment ensevelis sous l’information, les artistes tentent simplement de lui donner un sens."
D’abord conçue pour un seul et même lieu, Géographie expérimentale, dans sa version estrienne, investit deux galeries (Foreman et Sporobole). Pas contrarié du tout, Nato Thompson y voit une valeur ajoutée. "C’est logique: le visiteur peut réfléchir à sa propre ville, à l’environnement bâti que l’exposition remet en question pendant qu’il se déplace d’un endroit à l’autre."