Marc-Aurèle Fortin : Dans l’oeil de l’opale
Si attendue, bientôt très courue, l’exposition sur le peintre Marc-Aurèle Fortin s’installe au MNBAQ jusqu’en mai. Une immersion fascinante dans un véritable feu d’artifice coloré.
"Elle aimait la ville, moi la campagne." C’est ce que Marc-Aurèle Fortin aurait un jour affirmé en parlant de Gabrielle, son épouse. "Elle aimait la ville, moi la campagne." Quelle douce résonance ont ces mots volés dans l’excellent catalogue de l’exposition. Mais ces mots, jusqu’à hier, n’auraient ponctué qu’un mystère insoluble: qui était donc vraiment Marc-Aurèle Fortin? Le peintre admiré et aimé, celui de qui on avait dit trop de choses déjà, avait besoin d’être entendu à nouveau, redécouvert. De fait, on lui a prêté la parole en truffant la présentation de citations succulentes dont on ne se lassera jamais d’écouter la musique. "Moi la campagne", l’entend-on dire en peignant ses grands ormes, ses vues du Saguenay et de Charlevoix… Mais aussi la ville, embrassée, changeante du matin au soir, belle, lumineuse, malmenée par l’industrialisation, sombre sous l’orage fait de nuages lourds comme des rocs.
Peu de mots peuvent décrire l’oeuvre de Fortin; devant elle, difficile de parler: la couleur, monumentale, nous écrase, nous bouleverse, aux sanglots presque, à bout d’émerveillement. Quelque chose transcende pourtant toute cette peinture; une mystique? Sa poésie dévaste l’horizon, confond les nuages aux incendies dans le port de Montréal, le tout traversé de glorieux pieds de vent qui tranchent divinement l’image.
C’était bien, cette exposition? Oui, parfaitement, j’allais y venir. Cette fois, le dispositif s’approche de la perfection. On utilise la couleur, mais pas sur les cimaises, afin de ne pas nuire aux oeuvres. Le parcours est clair, lumineux. Sans compter la typographie "Art déco" qui se confond harmonieusement avec la période. Les textes sont précis, éclairants même. Ils jalonnent notre parcours, sondent les profondeurs de l’oeuvre: on y parle de la peinture – quelle joie! On s’en prive tellement souvent.
De petits détails cependant. L’absence d’oeuvres religieuses est un peu regrettable. Loin d’être dépassés, cette peinture et ses sujets auraient certainement eu leur place. Et les thèmes? N’en parlons pas, mais vous savez déjà ce que je pense des classifications qui contraignent l’art à l’illustration… Non, cette fois, pas de fleurs dans le tapis où s’enfarger, il y a trop de beauté dans cette présentation pour s’arrêter à cela. Et si, au-delà de l’opposition ville-campagne, la vraie modernité de Fortin était d’avoir fait chanter la couleur dans un pays que tous voyaient depuis trop longtemps comme une vaste étendue neigeuse?
Ce soir, Marc-Aurèle, c’est avec émotion que je boirai à votre triomphe, alors que la foule avide du spectacle ira voir à quel point vous avez transformé la peinture d’ici. Je penserai à cette chaste Gabrielle "enfourchant son vélo comme un homme", quelque part près des grands ormes, et se disant: moi, la ville, et lui, la campagne.
À voir si vous aimez /
Jean-Paul Pépin, Riopelle, Albert Rousseau