Nathalie Grimard : Ombre et chair
Duel dans le noir, muscles tendus, deux personnes luttant pour une victoire indéfinie.
On entre habituellement dans une salle d’exposition avec quiétude, par respect pour l’art et pour augmenter sa réceptivité aux oeuvres présentées. Au Centre Sagamie jusqu’au 10 mars, ce n’est pas le visiteur qui apporte son calme, ce sont les photographies de Nathalie Grimard qui l’imposent. Cela vous saisit, comme en entrant dans une église, cette ambiance profonde de recueillement. L’exposition s’embrasse d’un regard. Duel comprend une série d’impressions numériques de formats variables mettant en scène deux femmes luttant. Des images simples, épurées, d’où a été évacué tout artifice pour leur donner une plus grande charge dramatique. Les deux adversaires portent un jean sombre et une camisole noire, elles ont les cheveux bruns. Sur les fonds noirs comme de l’encre, la lumière bondit sur les mains, les bras, les visages, les jambes et les pieds. Un peu comme dans ces peintures de maîtres anciens, quand la spiritualité s’exprime par des touches de lumière intense dans l’obscurité. Détailler les points de tension de ces deux corps: plissements de la peau, crispations des articulations, déséquilibres imminents…
Deux femmes luttent. L’une d’elles est l’artiste, mais est-ce vraiment important de le savoir? L’autre a été choisie pour sa ressemblance à l’une. Elles se trouvent dans un non-lieu, un espace d’observation qui semble perdu dans un rêve. Se rêver en confrontation avec soi-même, en résolution de conflit interne perpétuel, rêver sa guerre contre soi. Soumission, pression, pause, fatigue, puissance. Une bataille sans bruit à l’issue incertaine. Un sujet universel que Grimard a eu l’intelligence de traiter avec sobriété, allant à l’essentiel: les chocs intérieurs entre les différents niveaux de conscience. Plusieurs positions de lutte gréco-romaine ont été prises sur le vif. Sans qu’il s’agisse d’un manuel pratique, qui aurait probablement arrêté un choix d’images différent, l’ensemble apparaît comme un inventaire, comme un désir de répertorier les aspects pertinents d’une discipline. Aussi, les personnes photographiées ne sont visiblement pas des athlètes, avec costume et gymnase. Mais elles déploient une force silencieuse qui convainc du sérieux de la confrontation, de sa nature cruciale même. Du dénouement dépend peut-être l’équilibre d’une identité. Que se passera-t-il si l’une d’elles est blessée, si l’épuisement les plaque toutes les deux au sol, ou encore si la lutte ne trouve pas de vainqueure? Dépression, maladie, tristesse…?
La noirceur mate des fonds et l’éclat de la peau ont un effet accru grâce à des retouches par ordinateur. L’artiste a ainsi épaissi le caractère onirique du lieu et l’anonymat mystérieusement familier des corps. Dans les oeuvres présentées par Nathalie Grimard, la photographie va à la rencontre de la peinture, quelque part entre les territoires du rêve et de la psychanalyse.
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