Benoît Paillé : « Extraordinairifier » le banal
Depuis 2009, le photographe Benoît Paillé prend des portraits d’étrangers. Des petits et des vieux, des jolis et des plus disgracieux, dans la rue ou dans le métro, de Trois-Rivières au pays du sombrero…
Benoît Paillé a des couilles. C’est lui qui le dit, parce qu’il photographie des étrangers, partout, tout le temps. "C’est un affront. On est en 2011 et les gens ont peur des caméras." Il arrive que sa timidité prenne le dessus. "J’ai "choké" des millions de fois", avoue le photographe autodidacte. L’exposition Stranger Project, qui se retrouve actuellement sur les murs du Centre d’exposition Raymond-Lasnier, est justement le résultat d’une démarche personnelle visant à briser sa gêne.
Le projet a vu le jour à travers son objectif, dans une ruelle trifluvienne en 2009. "J’avais mon appareil en main et un de mes voisins m’a dit: "T’es pas game de me prendre en photo." Alors je l’ai pris, et j’en ai posé un autre, puis un autre. Je me suis rendu compte que c’étaient mes voisins et que je ne leur parlais même pas, raconte-t-il. C’est fou, les lieux les plus densément peuplés sont les lieux où l’on connaît le moins de monde."
PARLEZ AUX ETRANGERS
Benoît Paillé admet que sa démarche s’inscrit un peu en réaction au sacro-saint "Ne parle pas aux étrangers" qu’on nous inculque dès l’enfance. "J’avais envie de briser ça, de créer un moment. La photo est un prétexte pour parler. On crée un lien éphémère."
Comme si c’était un coup de foudre, le photographe le ressent lorsqu’il doit immortaliser le portrait d’un passant. "Je les choisis, lance-t-il en parlant de ses modèles. Ce n’est pas tant le physique que ce qu’ils dégagent. C’est une combinaison de facteurs: le visage, le charisme, la lumière, le lieu, les vêtements…"
C’est donc une trentaine de faciès neutres qui dévisagent le public de Stranger Project. Neutres, parce qu’un gros sourire Chiclets, ce n’est pas très naturel. "C’est fake", note l’artiste. Ses photos ne sont pas volées, ni même croquées sur le vif. "C’est réfléchi, parce que je demande tout de même aux gens de ne pas montrer les dents, de ne pas sourire", relate-t-il. Une mise en scène assez minimaliste, donc, mais une facture très léchée, presque publicitaire.
Comme il se plaît à le dire, Benoît Paillé prend des gens banals pour les "extraordinairifier". "Tout le monde est unique, exceptionnel, a de l’intérêt. Ouvrez-vous les yeux, il y a tellement de personnes intéressantes autour de vous!"
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