Chih-Chien Wang : Aux frontières du visible
Chih-Chien Wang, photographe et vidéaste montréalais né à Taiwan, a ces jours-ci son premier solo à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain.
Ici, la photo d’un chou à moitié coupé pour une recette de cuisine. Là, l’image d’une plante à moitié morte. D’autres objets, ceux-là trouvés (morceaux de verre, de métal, feuilles…), viennent compléter ce panorama de la vie de tous les jours. Chih-Chien Wang arrive à insuffler au banal et au presque rien des airs grandioses. Un exemple: une simple petite fleur de trèfle prend dans son expo des allures de gigantesque chrysanthème.
Voici donc une présentation qui parle du quotidien. "Encore une", diront certains. Dans les dernières années (et même décennies), la photo et l’art contemporain en général ont en effet beaucoup traité de ce sujet.
Oui, cette expo parle du quotidien, mais elle fait plus que cela. Dans son solo intitulé Phrases courtes, Wang nous parle aussi de la mort, de la fragilité des choses et de la vie, surtout de la vie et de la beauté qui arrivent à renaître de la mort (réelle ou symbolique). Ce reste de chou, oublié dans un frigo, a repris vie et en son coeur a poussé comme une sorte de fleur. Cette plante qu’on croyait morte, amas de racines sans terre, repousse encore…
Une simple vision optimiste de la vie? Non, pas tout à fait. Immigrant, lui-même "replanté", Chih-Chien Wang nous parle peut-être aussi de la capacité à renaître malgré les déracinements. Mais en même temps, il nous dit toute la difficulté de ce processus, combien il frôle la mort. Une expo qui se révèle plus angoissante que prévu quand on la regarde attentivement.
Vidéos
Dans une autre salle, Wang scrute, à travers une installation vidéo, des fragments d’une image de sa femme enceinte dans un paysage. Il a agrandi jusqu’à la limite du visible trois morceaux de cette image, poussant l’agrandissement jusqu’au point où la pixellisation de ces détails les rend presque méconnaissables. Vous pourrez tout de même y reconnaître les yeux de sa femme, un morceau de l’étendue du lac et de la végétation, présents dans l’image choisie.
On se croirait presque dans le film Blade Runner, où le héros (joué par Harrison Ford) agrandissait et fouillait une image pour y trouver les indices de son enquête. Chaque fois qu’il élargissait cette image, celle-ci lui fournissait plus d’informations… Ici, c’est tout le contraire qui se produit. L’image se dissout au fur et à mesure qu’elle est inspectée, somme toute incapable de saisir vraiment la vie, de rendre compte de nos souvenirs. Voilà un constat qui n’est pas nouveau (même dans la forme qu’il prend), mais qui est néanmoins juste et bien senti.
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