Jean-Jacques Ringuette : Voici Félicien
Arts visuels

Jean-Jacques Ringuette : Voici Félicien

Félicien, clown tragique, est le personnage inventé par l’artiste Jean-Jacques Ringuette pour mettre en scène des états de la psyché humaine.

Étymologiquement, le nom Félicien a un lien avec la félicité. Le héros de Figures de la mascarade ou La vie passionnante de Félicien, qui a manifestement un destin pathétique, porte donc dans son nom même tout le grinçant qui charge les oeuvres de Jean-Jacques Ringuette. Le photographe présente ce corpus dans l’exposition Regard de l’enfance sur la tragédie au Centre Sagamie. Les autoportraits de Ringuette nous racontent les déboires de son alter ego par des saynètes inspirées de l’univers forain. Il s’agit en fait d’une manière de s’intéresser au rapport de la psyché au monde et à son incarnation sous forme de mises en scène caustiques. "Comment la psyché s’incarne-t-elle dans le monde, comment investit-elle la réalité et comment interagit-elle avec l’Autre?" se demande l’artiste. L’Autre, explique-t-il, est un concept central dans son travail. "L’Autre est toujours problématique. L’Autre, c’est l’autre race, celui qui n’est pas pareil, c’est le bouc émissaire, c’est l’homosexuel, c’est l’itinérant, c’est l’handicapé… Sur le plan méthodologique, j’ai listé tout ce à quoi je pouvais penser comme figures contemporaines de l’altérité." Ces figures lui servent de prétextes pour créer des tableaux photographiques qui sollicitent des instances psychiques enfouies, des pulsions fondamentales.

"J’ai horreur des oeuvres qui sont univoques", confie Ringuette. Ainsi, le photographe a passé beaucoup de temps à "rêver" chaque image, à trouver les objets qui feraient les bons attributs et à chercher la gestuelle éloquente. En ce sens, les prises de photos relevaient véritablement de la performance, d’un processus physique, technique, concentré et solitaire. En résultent des images apparaissant épurées et simples, mais complexes sur le plan du sens qu’elles véhiculent. Un mystère gratte l’intérieur de la tête. Sur ce sujet, l’artiste s’exprime: "L’épuration est pour moi une façon d’aller à l’essentiel. On dirait que ça permet à celui qui décode l’image de s’y projeter. L’inconscient, s’il y a de la place pour s’investir, va réussir à établir un dialogue."

L’intuition tient un rôle important dans la construction des oeuvres de Ringuette. Une intuition qui prête des yeux d’enfant, c’est-à-dire des yeux qui s’émerveillent et s’effraient au contact des facettes archaïques de la psyché. En abordant l’aspect ambigu dans les portraits de Félicien, qui vacillent entre rire et larmes, Ringuette fait remarquer: "Cette tension entre le pôle furieusement humoristique et le pôle vraiment tragique, c’est peut-être ce qui permet la polysémie, c’est peut-être cela qui vient gratter, comme tu le disais tout à l’heure." Enfin, il vaut la peine de lire les titres soignés de chaque photographie. Avec une riche poésie, ils brouillent les pistes plus qu’ils n’indiquent une interprétation arrêtée.

À voir si vous aimez /
La publication Figures de la mascarade ou La vie passionnante de Félicien (Éditions Sagamie), Don Quichotte, la commedia dell’arte