Suzanne Lafrance : Sans voix
Dans Mu, l’artiste Suzanne Lafrance explore des zones d’inconfort.
On dit souvent qu’il n’y a rien de plus beau qu’un enfant qui sourit. Imaginez l’inverse: un bambin qui encaisse un choc. Suzanne Lafrance s’aventure dans ces eaux peu agréables avec Mu.
"Je voulais travailler des situations où le langage est suspendu, explique celle qui étudie actuellement en philosophie. J’ai dessiné des enfants parce qu’enfant vient d’infant, qui veut dire sans paroles, sans mots."
Mu rassemble donc des dessins de nourrissons et de jeunes enfants troublés, bousculés par un événement soudain. Des créations dans lesquelles leur corps est mis de côté ou rapidement esquissé afin d’insister sur l’expression de leur visage. "Cette exposition, c’est vraiment le corps dans une situation qui le dépasse. C’est l’instant avant la prise de conscience, avant de pouvoir nommer ce qui arrive. C’est un corps saisi qui réagit, donc qui regarde et qui ne regarde pas; qui se ferme et qui s’ouvre."
Pour accentuer cet effet de malaise, Lafrance a élaboré certains de ses personnages en deux morceaux: le corps et la tête figurent sur une feuille; les pieds et les jambes sur une autre. "Je voulais créer un pli pour montrer que l’enfant est en décalage avec ce qu’il vit."
Devant autant de petits drames, on ne peut que se demander si l’artiste a inventé une histoire pour chacun des êtres qu’elle a dessinés. "Non… Mais quand sont arrivés les événements en Haïti et, plus récemment, au Japon, je reconnaissais ce que les gens vivaient à travers mes dessins. Ça s’appliquait parfaitement à des situations comme celles-là."
Troublantes, toutes les oeuvres de Mu ont été réalisées au fusain, une technique que Lafrance affectionne particulièrement en raison de son côté permanent. "C’est une matière qui résiste. J’aime la spontanéité du geste et les éclats que ça fait autour. Ça laisse une trace même lorsqu’on efface!"
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Les enfants, la philosophie