Jean Paul Gaultier : Le bon enfant terrible de la mode
Figure de proue de la haute couture, il n’en reste pas moins un être léger, à mille lieues du cliché du designer pédant. À coups de ciseaux et de croquis, Jean Paul Gaultier a su découdre les préjugés pour créer une mode plus ouverte. Le Musée des beaux-arts de Montréal nous invite à mesurer l’apport social et artistique de ses oeuvres textiles.
Décembre 2010. L’exercice formel d’une conférence de presse au Musée des beaux-arts de Montréal est en train de se transformer en un genre de "bien-cuit" animé par Jean Paul Gaultier en personne. Tandis que le commissaire de l’exposition La Planète mode de Jean-Paul Gaultier. De la rue aux étoiles, Thierry-Maxime Loriot, tente d’expliquer le contenu des cinq thématiques du projet, l’enfant terrible de la mode profite pleinement du micro qu’on lui a laissé entre les mains pour commenter chacune des images qui apparaissent à l’écran.
Du lot d’anecdotes, on apprend entre autres que c’est son ourson en peluche qui fut le premier à porter le corset conique, bien avant Madonna. Au sujet de son enfance entourée des femmes fortes qu’étaient sa mère et sa grand-mère, il raconte aussi comment le dessin fut salvateur. "Un matin, je griffonnais à l’école l’image d’une femme à moitié nue que j’avais vue à la télé. Quand la maîtresse m’a surpris, elle a voulu me punir en accrochant le dessin à mon dos et en me faisant faire le tour de l’école. Elle qui croyait m’humilier, elle a créé l’effet inverse. Tout à coup, je n’étais plus le petit garçon qui n’était pas bon au foot. J’étais celui qui pouvait dessiner des femmes aux seins nus pour ses camarades de classe!"
Le dessin a été un passeport vers l’intégration pour Jean Paul Gaultier. À travers l’exposition qu’inaugure bientôt le Musée des beaux-arts, on le voit bien: toute son oeuvre en est une de tolérance, de non-discrimination.
Archéologie de placard
Il ne faut pas s’attendre à une rétrospective chronologique du travail de Gaultier. Si tel avait été le cas, jamais le MBAM n’aurait eu la bénédiction du designer, explique le commissaire Thierry-Maxime Loriot. "Une rétrospective sous-entend qu’il y a une fin, or je pense que les meilleures années de Jean Paul Gaultier sont encore à venir, il est comme le bon vin!" Le principal intéressé avait d’ailleurs toujours associé le mot "musée" au mot "passé": "Le paradoxe, dit-il, c’est que j’aborde cette aventure comme une nouvelle collection. Ce projet sera vivant, avec une mise en scène propre, et il me fera avancer."
Si Jean Paul Gaultier est aussi enthousiasmé par cette exposition d’envergure internationale créée à Montréal, c’est qu’il redécouvre lui aussi les vêtements, objets et croquis qui dormaient au fond des placards de son atelier. Il a fallu deux ans à Thierry-Maxime Loriot pour réunir tous les articles qui allaient permettre de mettre en contexte le travail achevé par Jean Paul Gaultier jusqu’à maintenant. Un travail de moine, qui l’a mené à rencontrer Catherine Deneuve, Boy George et, bien sûr, Madonna. "Elle m’a accueilli chez elle à New York en toute simplicité et après, j’ai eu accès à ses archives entreposées à Los Angeles, conservées dans des conditions muséales." Dans le fond du placard de Gaultier, il a aussi retrouvé tous les clichés d’une séance d’essayage pour le Blond Ambition Tour que même Madonna n’avait jamais vus.
En tout, 140 pièces de haute couture, costumes de scène et prêt-à-porter conçues entre 1976 et 2011 seront exposées pour recréer le fort message social du designer. "Tout le monde se retrouve dans la faune Gaultier: les personnes âgées, les femmes rondes, les tatoués, etc. Il a été l’initiateur des castings sauvages, tous étaient bienvenus, même les gueules cassées."
Grand humaniste et éternel curieux, Jean Paul Gaultier a eu des collaborations mémorables avec l’univers du cinéma (Pedro Almodovar), de la danse (Maurice Béjart) et de la musique. "Très peu de gens savent qu’il a participé à une soixantaine de vidéoclips, même un de Nirvana!" explique le commissaire en précisant qu’une section de l’exposition sera consacrée à ces collaborations.
Les contacts du Musée des beaux-arts de Montréal ont également permis de mettre la main sur une série de polaroïds d’Andy Warhol, dont Jean Paul Gaultier avait conservé une seule photo. Tout le personnel du musée est dédié à cette exposition. "C’est une bonne visibilité pour Montréal puisque l’expo va ensuite se promener à Dallas, San Francisco puis en Europe. Tout a été fait au Québec, les mannequins, le graphisme, les projections vidéo. C’est un projet 100% québécois avec un sujet 100% parisien."
Expo sur papier
Tous ces mois de recherche méritaient d’être immortalisés et c’est sous la forme d’une brique de 424 pages que sera publié à 25 000 exemplaires le catalogue de l’exposition. On y retrouve plusieurs clichés des photographes de mode les plus célèbres et le verbatim des entrevues réalisées par le commissaire de l’exposition. Tout est mis en oeuvre, donc, pour combattre l’éphémère qui découle d’un défilé de mode. "J’essaie de faire exactement le contraire d’un défilé. Le plus gros problème de la mode, c’est qu’on ne peut pas les voir ces créations, à moins d’être une princesse ou une vedette! Pourtant, il faut observer de près pour constater tout le travail des artisans qui oeuvrent à l’atelier", explique Thierry-Maxime Loriot. Belle réussite pour cet ancien mannequin qui a étudié l’histoire de l’art et qui était encore assistant de recherche il y a trois ans. Avec la complicité de la directrice du musée Nathalie Bondil, il a bon espoir de voir la mode acceptée comme un des beaux-arts, au même titre que le cinéma. "La mode, c’est comme l’art contemporain, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir."
Un vêtement n’est pas une nature morte, dit Jean Paul Gaultier. Le Musée des beaux-arts de Montréal l’a bien compris.
Mise en exposition
L’un vient de Paris pour prendre l’affiche au Musée des beaux-arts de Montréal. L’autre vient de Montréal et présente sa première mise en scène à la prestigieuse Comédie-Française à Paris. C’est pourtant à Avignon que Jean Paul Gaultier et Denis Marleau ont scellé le pacte de leur première collaboration.
Avide spectateur du Festival d’Avignon, Jean Paul Gaultier y a découvert le travail de Denis Marleau en 2002 lors de la présentation de la pièce Les aveugles. Mais c’est après avoir vu Une fête pour Boris en 2010 qu’il a approché le metteur en scène montréalais pour lui proposer de participer à la première exposition d’envergure internationale consacrée à son travail de designer. "J’ai tout de suite dit oui, explique Denis Marleau, et ensuite, j’ai attendu l’appel du Musée des beaux-arts pour m’assurer qu’il y avait bel et bien un projet!"
Avec le verbomoteur Gaultier et le spécialiste des installations théâtrales Marleau, on peut s’attendre à tout. "Une trentaine de mannequins animés vont déambuler. Ce seront des présences qui parlent et racontent des histoires, mais rien d’interactif", explique Denis Marleau sans vouloir tout dévoiler. Il avance toutefois qu’Ève Salvail et Francisco Randez (qui ont déjà défilé pour Gaultier) prêteront leur visage à deux mannequins.
Si Jean Paul Gaultier est fan de théâtre, Denis Marleau a aussi une grande admiration pour le milieu de la haute couture. "En tant que metteur en scène, je me suis toujours beaucoup intéressé aux costumes." C’est d’ailleurs presque naturellement qu’il se retrouve dans un musée, comme ce fut souvent le cas depuis le début de sa carrière. "Un de mes premiers spectacles a été présenté au Musée d’art contemporain. Dans Coeur à gaz et autres textes dada, nous avions recréé les costumes d’une soirée dada de 1914 selon des croquis de Sonia Delauney." Sa sensibilité à la précision du travail de l’artisan du vêtement le ramène donc vers ses premières amours, fort de 30 ans d’expérience.