Marc Séguin : L’avant-midi d’un fauve
Marc Séguin traque. Force vive des arts visuels et auteur dont la franchise et la témérité sont propres à déranger les plus moelleuses certitudes, ce chasseur piste le sens des choses dans un monde parti en vrille, laissant dans son sillage des oeuvres fortes, troublantes.
"Je voudrais croire." Le ton est donné dès les premiers mots, alors que l’artiste et auteur de La foi du braconnier nous explique certains leitmotivs à la base de son travail. "Même si je reconnais venir du catholicisme, il y a trop de folklore et de "cuisine" dans celui-ci pour que je puisse m’y identifier pleinement. J’ai besoin d’une expérience spirituelle, plus directe et dépouillée, loin des dogmes et des églises." Pareille volonté, investie par le doute et mue par la transgression, nous permet de mieux saisir le sens de l’iconoclasme que Marc Séguin inscrit dans ses oeuvres. Une pugnacité que l’on traquera dans ses vigoureuses sauvageries picturales, où il lacère, avec une peinture colorée, ses propres dessins, eux-mêmes exécutés à l’aide de fusain ou de cendres crématoires. "Cette application de couleur est en quelque sorte une rébellion contre la représentation exacte du réel, et la négation de ce que je fais en réinterprétant une photographie dans un dessin précis et linéaire. Mais c’est aussi un geste pictural très primaire, le plaisir de la couleur pour la couleur", précise le créateur originaire d’Ottawa, qui vit maintenant entre Montréal et New York.
Pour lui, l’application en surface de taches fauves et irrévérencieuses agit le plus souvent comme un acte critique envers ce qui est figuré, que ce soient des clichés d’églises en ruine – associées aux grands conflits de toutes les époques – ou des portraits "iconiques" bien connus, tels ceux d’Hitler et de différents papes. "La superposition de deux langages [photographique et pictural] est une manière pour moi d’aller plus loin que l’image traditionnelle que l’on se fait de la peinture en violant quelque chose. C’est maintenant devenu possible de présenter de telles oeuvres, contrairement à la Renaissance et toute la période précédant l’invention de la photographie, une époque où le peintre devait rendre fidèlement son sujet", commente l’artiste avec enthousiasme.
Or, cette férocité sans concession envers la représentation du monde visible semble paradoxalement le signe d’une sensibilité et d’une spiritualité exacerbées – qualités essentielles du chasseur que Séguin a su faire siennes. "La chasse, c’est bien plus qu’enlever la vie à un animal pour se nourrir. C’est un cycle qui suit le rythme même des saisons, avec ses odeurs, ses lumières, ses coloris précis, et qui m’oblige à une attention et à une communication directe avec la matière et les choses. Ma sensibilité est entièrement nourrie avec elle."
Ce n’est pas un hasard s’il émane de ses oeuvres quelque chose de la fascination vorace que l’on peut ressentir face au sang de la bête expirante qui macule la neige ou les feuilles mortes en automne. Irions-nous chercher trop loin en transposant cette tache sacrificielle à la tache picturale viscérale souillant ses nombreux sujets et portraits? Et si, pour Séguin, peindre était une manière de mieux embrasser l’humanité, au coeur de ses contradictions, dans un mouvement oscillant entre tendresse et violence? "Dès le moment où tu crées, tu te fais le porteur d’une intention de vie. La mienne est un espoir engagé envers l’humain plutôt qu’une cause."
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Artistique Avenue
Marc Séguin est l’un des participants au projet d’EXMURO arts publics intitulé Artistique Avenue, réalisé en collaboration avec la Ville de Québec et Hydro-Québec. Le projet, qui sera inauguré le soir du 30 juin dans le quartier Saint-Roch, mettra en vedette le travail de plusieurs autres artistes, dont la plupart sont installés dans la région de la Capitale-Nationale: Thierry Arcand-Bossé, André Barrette, Alexandre Berthier, Ivan Binet, Martin et Émile Bureau, Ève Cadieux, David Champagne, Stéphane Dionne, Laurent Gagnon, Florence Le Blanc et Denis Thibeault.
Cette initiative originale permettra à tous ces artistes d’envahir les rues pour recouvrir de leurs oeuvres les boîtes électriques jonchant les trottoirs de la basse-ville. "L’art doit sortir des musées et des galeries. Si tu ne peux pas faire entrer le monde dans les galeries, faut que tu apportes l’art au monde. Sans vouloir tomber dans le cliché, au fond, l’art, il faut que ça parle à une majorité. Si on est juste huit ou neuf à nous comprendre, ça ne sert pas à grand-chose de créer", commente Séguin.