Rémy Couture : Horreur humaine
Rémy Couture repousse l’horreur au-delà des frontières du tolérable. Tellement que ce maquilleur d’effets spéciaux est poursuivi en justice. Ce jeune trentenaire tatoué et rigolard peut-il vraiment corrompre les moeurs? Autopsie d’un phénomène.
Il aime le homard et le scotch, le ski alpin et la nature. Pour relaxer, il s’immerge dans son spa ou regarde des épisodes de South Park sur son ordi. Il a tripé sur les films 1981 et Team America. Il se brosse les dents tous les jours et il travaille trop.
Un type comme les autres? Presque. Son boulot: maquilleur d’effets spéciaux et réalisateur-producteur de courts métrages d’horreur ultra trash. Peau brûlée, balafrée, tailladée, yeux tuméfiés, plaies purulentes, moignons ensanglantés: Rémy Couture conçoit tout ça avec un réalisme effarant. Plus encore, il utilise son talent pour élaborer des mises en scène qui renvoient les créateurs de Saw au rang de gentils écoliers. Ou plutôt, il l’a utilisé, puisque des accusations de corruption des moeurs ainsi que de création, possession et publication de matériel obscène l’ont forcé à mettre en suspens son site Inner Depravity, sorte de journal intime en images d’un tueur en série fictif.
Les autorités ont jugé les photos et les courts métrages diffusés sur son site potentiellement dangereux. "Elles considèrent que mon matériel peut être nuisible à la société, influencer des personnes déjà troublées, rapporte Rémy Couture, dont le procès débutera le 3 octobre. Entre toi et moi, une personne troublée n’a vraiment pas besoin de regarder mes photos et mes films pour passer à l’acte. Tu sais que Charles Manson s’est dit inspiré par les Beatles? Difficile de trouver plus pacifique comme influence."
Ses images, très hardcore, dérangent assurément, malgré leur caractère fictif. Viols de femmes, meurtre d’un enfant, mutilation, cannibalisme, nécrophilie: ne cherchez pas le filtre, l’habituelle distance qui rend l’horreur supportable, voire parfois drôle. "Je veux ramener l’horreur à son essence. Son but, c’est de créer un malaise chez la personne qui regarde. Certains de mes détracteurs disent que je banalise l’horreur. Je ne trouve pas. Montrer des images de quelqu’un qui se fait arracher la tête de façon humoristique, ça, c’est banaliser l’horreur. Moi, je la présente de façon crue, parce que l’horreur, la vraie, c’est dur à regarder", explique celui qui incarnait le tueur en série au masque gris d’Inner Depravity, avant d’ajouter que ses scènes d’horreur ont leur équivalent dans une pléthore de films dont les réalisateurs n’ont pas été poursuivis.
À ceux qui contestent la dimension artistique de son travail, il répond: "Il ne faut pas juger seulement le sujet, l’image, mais tout ce qui l’entoure. Pour en venir là, il faut créer un univers. Il y a beaucoup de techniques utilisées: maquillage, mise en scène, éclairage, jeu de la personne qui interprète la victime…"
Le site, en ligne pendant cinq ans, a servi de portfolio au maquilleur montréalais originaire de Québec, qui avoue passer tout son temps dans son atelier à mouler, sculpter, texturer des matières comme le silicone, le latex, le plâtre, les résines, sinon à peindre au air brush. "Les gens ne réalisent pas à quel point ça demande du travail."
Le déclencheur de sa passion pour l’horreur? Le clip Thriller de Michael Jackson. "J’avais six ou sept ans, ça me fascinait complètement", se souvient-il en riant. Après sa phase Freddy (malgré l’interdiction de ses parents), il a découvert l’esthétique des Texas Chain Saw Massacre et des premiers Hellraiser. "J’ai toujours préféré les films d’horreur sérieux, qui te secouent pour vrai, te restent en tête pendant quelques jours. Le gore, qui a une connotation drôle, me plaisait moins."
S’il avoue un faible pour l’horreur, l’autodidacte prête aussi ses talents à des réalisateurs de films en tout genre, ici pour des bleus, là pour des coupures. Pigiste pour Maestro Studio (fondé par le renommé Adrien Morot), il a contribué à des productions hollywoodiennes comme The Punisher, The Mummy 3 et Death Race.
Grâce à la nouvelle galerie Le Mur insolite, spécialisée dans le dark art, le travail de Couture sera présenté dans l’exposition collective Corruption des moeurs, classée 18 ans et plus. On y verra des photos (certaines de maquillages, d’autres tirées d’Inner Depravity) ainsi que divers objets: prothèse de jambe calcinée, faux foetus, masque de zombie… Les profits des ventes de ses oeuvres l’aideront à payer ses frais juridiques.
En attendant le verdict, la communauté artistique retient son souffle: une limite à la liberté d’expression sera-t-elle établie? La réponse au prochain épisode, le 14 octobre, au palais de justice de Montréal.