Obscurité à la galerie Les Territoires : Cécité éclairante
La commissaire Aseman Sabet nous convie à vivre une expérience artistique dans la pénombre. Après les restos où l’on mange dans le noir, voici l’art que l’on expérimente dans l’aveuglement.
Captivant paradoxe… Périodiquement, depuis au moins le 18e siècle, l’aveuglement est utilisé en art comme outil pour réfléchir le visible, ses limites et son au-delà. Les néoclassiques, les romantiques, les symbolistes et même les surréalistes ont travaillé cet état de différentes manières. Même la peinture abstraite l’a fait. Nous nous souviendrons des tableaux de Molinari faits les yeux bandés dans les années 50…
La commissaire Aseman Sabet propose ces jours-ci Obscurité, une expo où la pénombre est pensée "comme un matériau à part entière, un élément opératoire avec lequel travailler". Durant les semaines à venir, la salle d’exposition déjà sombre sera lentement plongée dans une pénombre presque totale et le visiteur sera obligé de rééquilibrer sa perception, de rétablir ses repères et sa lecture des oeuvres. Plusieurs visites s’imposent donc.
Vous noterez Paysage nocturne, oeuvre de Karen Trask. Une vidéo montrant une main caressant l’ombre du visage d’un homme est accolée à une sculpture en fourrure qui ressemble à une représentation de la Voie lactée… Comme si la caresse des gens que nous aimons nous permettait de toucher à la plénitude de l’univers.
De Mathieu Latulippe, vous remarquerez une maquette du télescope Hubble, étrangement tourné vers la Terre. Un tableau, qui lui est adjacent, montre lui aussi un retournement intéressant. Le ciel bleu est dépeint comme par-dessus l’obscurité de l’univers, comme si nous n’étions pas en train de scruter les étoiles de la Terre, mais la Terre à partir du cosmos. Latulippe nous dit certainement comment, en scrutant les fins fonds de l’univers, nous tentons de comprendre le sens de nos existences.
Avec Hello Darkness My Old Friend, Mathieu Beauséjour cite les premières paroles de The Sound of Silence (tirée du premier album de Simon & Garfunkel), chanson qui nous parle de la superficialité de notre monde, de notre soumission aux paroles aveuglantes de leaders stupides et du manque de communication réelle entre les êtres humains.
Présentant aussi des pièces de Jean-François Lauda et Emmanuelle Léonard, cette expo est encore une preuve que nous sommes à l’époque de l’art de l’installation (de l’art de la performance du spectateur) où l’oeuvre (qu’elle soit picturale, sculpturale, photographique…) est toujours une mise en scène à expérimenter. Il semblerait que le sens de l’art dépende encore plus de son contexte.
Une superbe idée qui mériterait une suite.