Bilan arts visuels : Place publique
En arts visuels, 2011 fut une année très dense qui nous oblige à réfléchir à l’importance que nous voulons accorder à l’art dans notre société.
La question est digne d’intérêt: croyons-nous en notre art?
Le nouveau pavillon du Musée des beaux-arts dédié à l’art canadien et québécois a permis de remédier à une situation choquante en montrant enfin en permanence nos artistes dans un musée à Montréal. Au Musée d’art contemporain, la 2e édition de la Triennale est aussi allée dans cette direction, celle de célébrer notre art. Malgré quelques pièces moins fortes, elle est un succès, une lecture courageuse et pertinente de notre contemporanéité.
Ce fut une grande année pour le Bureau d’art public de Montréal avec plusieurs oeuvres défendant notre art auprès du grand public. La sculpture Mélangez le tout de Cooke-Sasseville (Centre Jean-Claude Malépart), agrandissement de 5 mètres de haut d’un malaxeur manuel de cuisine, est tout à fait dans l’héritage de Claes Oldenburg avec entre autres son gigantesque bâton de baseball à Chicago… C’est grâce à des sculptures de ce genre que Chicago a réussi à se faire connaître comme une ville d’art à travers le monde.
Certains ont dit que dans ce quartier pauvre, l’argent de l’oeuvre aurait pu servir à autre chose. Je ne savais pas que les pauvres n’avaient pas droit eux aussi à de l’art et que c’était un privilège réservé aux quartiers riches. Suivons une telle logique et arrêtons totalement d’aider l’art dans notre pays! Je propose plutôt de couper dans les centaines de milliers de dollars pour changer régulièrement les drapeaux sur nos édifices publics et les centaines de millions gaspillés par notre gouvernement incompétent dans la construction et la mafia… Cooke-Sasseville a aussi réalisé une oeuvre très caustique, Le mélomane (parc François-Perrault). Signalons aussi la Source de Patrick Coutu (parc Benny) et La façade de Guillaume Lachapelle (bibliothèque Père-Ambroise).
L’événement Art souterrain, avec ses 108 projets artistiques contemporains, fut aussi une belle célébration de nos artistes.
Côté bémol, la 7e Biennale de Montréal était certes plus soignée que les précédentes, mais l’événement a besoin d’un nouveau souffle. Et il lui faut entre autres un catalogue digne de ce nom qui permette de donner une résonance à l’événement. Cette biennale pourrait être une vitrine importante pour notre ville (comme l’ont été les Cent jours d’art contemporain). Mais, malheureusement, elle ne l’est pas.
Quels artistes célébrer cette année?
La mort de Mathieu Lefevre à New York en octobre dernier est une tragédie et un scandale. Un jeune et grand talent est disparu et l’enquête sur sa mort a été bâclée. Il nous reste son oeuvre dont un des moments forts est sans nul doute son expo chez Skol, fin 2009. Lefevre travaillait avec un esprit contestataire absolument nécessaire de nos jours. Quelques artistes ont été proches de cet esprit cette année, dont Shari Hatt chez Donald Browne et Oboro, qui critiquait entre autres le cirque du milieu de l’art; Mathieu Latulippe avec Bien peu de choses en somme chez Circa; Team Macho chez Optica…
Et il ne faut pas oublier d’autres artistes qui avaient quelque chose à dire: Clément de Gaulejac chez Occurrence, Shary Boyle et Patrick Bernatchez à la Galerie de l’UQÀM, Marie-Claude Bouthillier à La Centrale, Valérie Blass à la Parisian Laundry, Daniel Olson à la maison de la culture Côte-des-Neiges (commissaire André-Louis Paré), Emmanuelle Léonard au Centre Expression (présentée par Nicole Gingras), Edward Burtynsky au Musée McCord, Alana Riley chez Joyce Yahouda, En obscurité (commissaire Aseman Sabet) à la galerie Les Territoires…
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Top 5 / Arts visuels
1- Les cendres de Pasolini, d’Alfredo Jaar (commissaire Gaëtane Verna)
Au Musée d’art de Joliette. Un art critique intelligent qui s’oppose à la connerie majoritaire.
2- À l’affiche: Documents, chez Roger Bellemare et Christian Lambert (commissaire Roger Bellemare)
Une expo de collectionneur éclectique et curieux digne du personnage de Des Esseintes dans À rebours.
3- Martha Wilson: Êtres à l’oeuvre. Staging the Self, à la Galerie Leonard & Bina Ellen (commissaire Peter Dykhuis)
Une réflexion essentielle sur l’identité.
4- Contre-culture: manifestes et manifestations, à la Grande Bibliothèque (commissaire Mariloue Sainte-Marie)
Un regard dans le rétroviseur pour se rappeler que l’art a été très contestataire des normes esthétiques dominantes.
5- Le monde est un zombie, de Simon Bilodeau, à la Maison des arts de Laval, expo réinterprétée cet automne au centre Expression à Saint-Hyacinthe (commissaire Katrie Chagnon)
Une mise en abyme sur notre désir de consommation et sur la place du beau dans nos sociétés.