Trafic : L’intelligence à l’oeuvre
L’expo Trafic permet de comprendre l’ampleur de l’aventure de l’art conceptuel au Canada dans les années d’après-guerre. Une réalisation majeure.
C’est un événement: cette expo présentée dans la galerie d’art de l’Université Concordia est du calibre d’un grand musée international ayant un gros budget. Six commissaires des quatre coins du pays ont impeccablement monté un bilan nécessaire, essentiel, d’un pan extrêmement riche de notre histoire de l’art. L’événement Trafic est la première rétrospective aussi exhaustive de l’art conceptuel au Canada entre 1965 et 1980. Un moment extrêmement fertile de notre culture.
Voilà une exposition qui permet d’aller au-delà de notre habituelle consécration de la peinture du Groupe des Sept, des Automatistes ou des Plasticiens. Une expo d’autant plus passionnante qu’elle nous fait mieux comprendre l’art conceptuel qui s’est développé au 20e siècle.
La période de l’après-guerre a vu la lente montée de formes d’art où l’objet s’est trouvé contesté, rejeté comme une forme d’incarnation du capitalisme. L’art conceptuel fut un des moteurs de cette attitude. Les artistes ont affirmé l’importance de l’idée dans le domaine des arts, la possibilité d’aller vers une dématérialisation de la création. C’est aussi le début de la fragilisation de l’art comme expérience visuelle (la peinture comme phénomène plastique) ou sensorielle au profit d’un art comme expérience langagière, intellectuelle.
Cela permet de voir des réalisations déjà connues comme cet extrait de film où Michèle Lalonde récite Speak White lors de La Nuit de la poésie en 1970, la série de photos Is Politics Art? de Robert Walker ou ce documentaire (collectif) sur l’expo Québec 75. Mais vous y verrez aussi une ribambelle d’oeuvres moins connues: le Line Project de General Idea ou les Cultural Signs de Carole Condé et Karl Beveridge, où les artistes ont photographié divers lieux culturels (musées, galeries…) devant lesquels ils ont placé un texte critique. Devant le Whitney à New York, vous pourrez lire la phrase "Institutions enjoy criticism as long as it doesn’t threaten their basic structure" ("Les institutions apprécient la critique tant que celle-ci ne remet pas en cause leur structure de base")…
Ne vous laissez pas rebuter par l’aspect documentaire de l’événement. Si vous jouez un peu le jeu des oeuvres exhibées, vous serez rapidement conquis par leur intelligence.
Une expo très dense, qui mérite plusieurs visites (ne serait-ce que pour voir le second volet qui débutera en mars). À voir absolument. Un seul reproche: étant donné la quantité d’oeuvres, cette expo aurait tiré profit de locaux plus grands ou de plus de salles.