Il était une fois l'impressionnisme : Oeuvres dangereuses?
Arts visuels

Il était une fois l’impressionnisme : Oeuvres dangereuses?

Vous connaissez le Sterling and Francine Clark Institute? Un volet important de sa collection d’art impressionniste est à l’affiche ces jours-ci au Musée des beaux-arts. À voir: beaucoup de Renoir, mais surtout d’excellents Degas, Pissarro, Monet, Sisley… Avec un parcours éducatif très bien mené.

À moins de cinq heures de route en voiture de Montréal, à Williamstown au Massachusetts, petite ville universitaire et bourgeoise de seulement 7754 habitants, il y a une importante collection d’art européen et états-unien, le Sterling and Francine Clark Art Institute. Elle comporte des oeuvres de della Francesca, Ghirlandaio, Dürer, van Dyck, Goya, Gainsborough, Turner, Rodin, Sargent… Une liste impressionnante. Sterling Clark (un des héritiers de la compagnie de machines à coudre Singer) et sa femme Francine Clary (une actrice française ayant joué à la Comédie-Française) ont, des années 1910 aux années 1950, énormément collectionné, dont beaucoup d’oeuvres françaises. Ils achetèrent, en particulier, de la peinture impressionniste, dont une trentaine de Renoir…

Ces jours-ci au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), nous pouvons voir 74 oeuvres de cette collection, pièces choisies pour offrir un parcours de la peinture impressionniste en la remettant dans son contexte d’émergence, après l’école de Barbizon (Corot, Millet, Rousseau…) et en pleine époque de triomphe de l’académisme (Bouguereau, Gérôme). Présentée à l’automne plutôt que comme un blockbuster d’été pour touristes, cette exposition permettra aux étudiants et à un public curieux, mais moins habitué à cette époque, de s’instruire, une des qualités de cette expo étant son aspect didactique, évident entre autres dans ses panneaux explicatifs intelligents. Un exemple: le texte sur l’école de Barbizon (qui annonça l’impressionnisme) explique, avec faits à l’appui, comment ce sont les artistes paysagistes « et non les scientifiques qui ont été en France à l’origine de la protection de la nature ».

Impression de déjà-vu?

On pourra néanmoins se poser la question de la pertinence d’une énième expo sur l’impressionnisme. De nos jours, les musées offrent régulièrement de telles présentations pour faire plaisir au public et attirer le client. Cet événement propose-t-il un regard nouveau sur le sujet? Disons-le, la collection Clark ne fut pas toujours audacieuse. Renoir, et ses sujets souvent mièvres et plus faciles, plut beaucoup aux Clark. Jeune fille endormie (exposant le haut de son buste) tenant son chat sur ses genoux, femmes faisant de la couture ou du crochet sont le genre de sujets souvent à l’honneur chez ce peintre (Renoir aimait beaucoup peindre les femmes et les jeunes filles). De Renoir, on regardera davantage l’autoportrait de 1875 (et non celui de 1899, horrible glaçage à gâteau), oeuvre plus brute et grave que le peintre avait jetée dans un premier temps à la poubelle. Cette collection montre aussi beaucoup de bouquets de fleurs… On ira visiter le MBAM en ayant en tête que l’impressionnisme fut plus que ce que ce corpus pourrait laisser entendre. Certains tableaux choisis permettront de saisir en quoi ce mouvement a été à l’époque une réelle révolution et une forte contestation des normes visuelles dominantes. Il faut regarder ces oeuvres en se souvenant qu’elles furent perçues comme mal faites, comme sales, crottées, torchonnées, comme des esquisses bâclées. Devant le Port de Rouen de Pissarro, il faudra aussi se rappeler comment cette peinture innova dans le choix de ses sujets, montrant par exemple l’industrialisation et ses effets sur le paysage. Devant les Danseuses au foyer de Degas, vous devrez remarquer comment celui-ci sut inventer des cadrages dynamiques qui allaient faire école et inspirer toute la photo ainsi que les images publicitaires au 20e siècle. Il faudra se souvenir comment le mot « impressionnisme » fut développé par le critique Leroy, en 1874, dans un esprit de dérision afin de dire qu’il n’était guère impressionné devant le tableau Impression soleil levant de Monet, peinture montrant le port industriel du Havre avec des couleurs sales. Leroy expliqua cette expo de 1874 en ces termes: « une peinture attentatoire aux bonnes moeurs artistiques, au culte de la forme et au respect des maîtres ».

La Petite danseuse de 14 ans

Une des oeuvres majeures de cette exposition est sans nul doute la sculpture Petite danseuse de 14 ans de Degas, présentée lors de la 6e exposition impressionniste de 1881. À elle seule, cette pièce mérite une visite. Il s’agit d’une oeuvre intense et terrible montrant une jeune fille qui à l’époque fut qualifiée par la critique comme étant d’une « bestiale effronterie », affichant « un caractère profondément vicieux »! Elle nous permet elle aussi de jeter un autre regard sur l’impressionnisme. Mais qu’est-ce qui a pu faire ainsi réagir la critique? Cette sculpture est loin d’être une simple glorification de la beauté et de la grâce des danseuses. Au départ faite de cire et affublée d’une perruque de poupée, de chaussons, d’un tutu, de divers rubans (nouant ses cheveux, mais aussi au cou et à la taille), elle était exhibée telle une bête fauve empaillée dans une cage de verre… Elle révèle un intérêt troublant de Degas pour les jeunes filles et une forme de fétichisme pour le costume des petites danseuses. Elle nous raconte aussi (à la Zola) la situation très précaire de toute une classe sociale. Le modèle, Marie van Goethem, dansait à l’Opéra de Paris, mais fut vite poussée par sa mère à la prostitution, tout comme ses deux soeurs… L’impressionnisme fut aussi cela, une description crue de l’ère industrielle et de ses effets sur la société.

Quelques autres oeuvres à remarquer

Cette exposition recèle aussi quelques autres perles postimpressionnistes achetées par l’Institut Clark après la mort de son fondateur. Le visiteur notera en particulier Les femmes au chien de Pierre Bonnard, L’attente de Toulouse-Lautrec et la Jeune chrétienne de Paul Gauguin.

Il était une fois l’impressionnisme: chefs-d’oeuvre de la peinture française du Clark
Jusqu’au 20 janvier
Au Musée des beaux-arts de Montréal

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Blain au MBAM

Et puisque vous vous rendez au MBAM, ne manquez pas aussi d’aller voir l’installation Missa de Dominique Blain. Une importante pièce de cette artiste engagée qui dénonce le totalitarisme, la déshumanisation et la violence guerrière. Elle a été un des moments marquants des Cent jours d’art contemporain de Montréal en 1992. Cette installation monumentale donne à voir cent paires de bottes de militaires usagées et accrochées, bien alignées, à une structure au plafond par des fils de nylon noir. Les bottes de gauche plus hautes que celles de droite donnent le sentiment du mouvement très organisé d’un régiment. Comme l’a écrit le critique René Payant dans les années 80, Blain ne montre pas que des objets, mais souhaite exhiber un dispositif (de représentation, mais aussi de fonctionnement social). Ici, les militaires sont ramenés à des marionnettes. L’ensemble souligne comment le totalitarisme trouve en partie sa légitimité dans un désir d’ordre presque beau.

Jusqu’au 28 octobre
Au Carré d’art contemporain du MBAM