Ultra Nan : Le roi de rien
Arts visuels

Ultra Nan : Le roi de rien

Même le roi de rien qu’est Ultra Nan a besoin d’un royaume. Le souverain du centre-ville de Sherbrooke plante le sien chez ArtFocus tout l’été pour Super royale, une vaste rétrospective que l’artiste derrière la souriante binette a bien voulu nous faire visiter à visage découvert.

Ultra Nan, c’est le nom de la binette blanche au front trop large et au sourire espiègle qui, il y a quelques années, a établi ses quartiers au centre-ville de Sherbrooke, investissant les murs de brique de Wellington comme ceux de la microbrasserie Boquébière. Ultra Nan, c’est aussi le nom derrière lequel préfère se cacher le sympathique père du personnage qui, à visage découvert un lundi en fin d’après-midi chez ArtFocus, nous ouvre la porte (on pourrait presque utiliser le mot portail, la devanture vitrée du centre de diffusion ayant été complètement repeinte aux kitsch couleurs royales du souverain).

Alors que vivre incognito tenait d’abord de l’esquive pour celui qui aurait bien pu se faire coller des tonnes de contraventions s’il avait signé de son nom de baptistère les toiles qu’il accrochait sans permission, mais sans malice, dans la rue («j’ai arrêté, je me les faisais toutes voler», dira-t-il), le jeu de dérobade prend aujourd’hui les teintes d’un commentaire oblique sur le star-système et le culte de la personnalité régnant sur le milieu de l’art. Aussi insatiable soit la soif d’amour de son alter ego (il y a plus de cœurs sur les toiles d’Ultra Nan que dans une pharmacie durant la semaine précédant la Saint-Valentin), l’artiste en chair et en os préfère la reconnaissance par ricochet, l’affection purifiée de toute possible trace d’adulation. «Je n’ai jamais senti le besoin que les gens associent mon visage au petit bonhomme, assure-t-il. J’avais envie que les gens puissent se mettre dans sa peau, qu’ils puissent se l’approprier sans forcément penser à son créateur, même si Ultra Nan, c’est bien sûr une facette de moi.»

Intitulée Super royale avec une ironie doucement subversive, cette rétrospective qui s’insinue dans les moindres recoins d’ArtFocus (même jusque dans la machine distributrice, remplie pour l’occasion de petites toiles) couronnerait en «roi de rien» le ludique personnage, si l’on se fie à son créateur. Roi de rien comme dans fou du roi, une posture seyant à merveille à ce petit despote de l’amour fraternel, chevalier de l’antimilitarisme et prince de l’anticonsumérisme prompt à pointer, depuis le nuage qui lui sert de trône, les travers d’une société qui brûle la chandelle de la planète par les deux bouts, sans jamais pourtant que son message ne prenne les barbantes intonations du donneur de leçons (Ultra Nan a beaucoup en commun, en ce sens, avec Mafalda). «Tu vois le tableau, là? C’est un panneau de ripe pressée!», lance celui qui ennoblit des matériaux pas royaux du tout en y peignant son petit bonhomme. «Ces panneaux de mélamine-là viennent d’un bloc que j’ai rénové», se réjouit-il en assurant que tous les cadres utilisés pour l’expo sortent de la récupération. «Je ne suis pas contre la consommation, je suis pour une consommation plus réfléchie.»

D’aucuns pourraient lire dans l’aspect sériel du travail d’Ultra Nan (le même personnage décliné sur différents supports) une critique de la sacralisation de l’œuvre d’art (le créateur laisse d’ailleurs partir ses toiles pour des prix dérisoires, modulables selon la taille du portefeuille de celui qui se les procure). «N’achète pas une de mes toiles en espérant que ça va valoir de l’argent, prévient-il. Si tu aimes l’image, tu peux la prendre directement sur Internet, la faire imprimer et la mettre dans un cadre. Je n’ai pas l’intention et je ne souhaite pas que mes œuvres prennent une valeur.»

La prendre sur Internet et la mettre dans un cadre ou… la créer soi-même, à l’instar de ces enfants dont les dessins sont accrochés au deuxième étage d’ArtFocus et devant lesquels l’artiste s’enthousiasme, visiblement ému de voir se profiler sous les traits maladroits et les gribouillis échevelés la bette et, surtout, le fraternel message de sa créature (certains dessins, dont un montrant un Ultra Nan juché dans une échelle tendue vers le ciel, en train de repeindre au rouleau le soleil, distillent une poésie réellement bouleversante de candeur non corrompue). «Je voulais que mon personnage soit facile à comprendre, qu’il soit universel. Tu peux ne pas savoir lire et le comprendre. C’est que je pars du concept que l’art est là pour émouvoir et pour communiquer. Si je veux faire passer un message, je dois le rendre accessible. J’aurais beau faire un truc super élaboré pour dénoncer les OGM, si personne ne comprend que je dénonce les OGM, on n’est pas plus avancé.» À bon entendeur, salut.