Rouge Mékong : Onirisme bordélique
L’exil et l’inconnu au détriment de la stabilité et de l’amour: voilà le choix de vie que Sarah Lebovitz, jeune femme déséquilibrée au centre de la fiction immersive Rouge Mékong du collectif Lebovitz, a fait lorsqu’elle est partie en Asie.
En entrant dans la Satosphère, dôme immersif au troisième étage de la SAT, le spectateur-participant marche dans la chambre bordélique de Sarah. Tiroirs éparpillés, lit défait, commodes en désordre, téléviseur allumé, valises ouvertes, journaux intimes à portée de main… Tout est là pour faire croire à une peine d’amour. Puis, les projections se multiplient au plafond et sur les murs. En confondant réalité et rêve, elles transportent le public dans un monde onirique qu’il découvre à sa guise.
«Ce côté-là de l’œuvre est inspiré de Wong Kar-Wai», indique Françoise Lavoie-Pilote, directrice artistique du collectif Lebovitz, qui a réalisé le projet. «On voulait que la poésie transporte le spectateur dans un univers qui n’existe pas vraiment.»
Autre influence majeure: l’artiste française Sophie Calle. L’atmosphère intime et épurée qui émane de la chambre renvoie directement à cette cinéaste qui a fait de sa vie personnelle une œuvre: «La plupart des objets ont réellement été pris en Asie lors d’un voyage que j’ai fait en 2000. Si un spectateur passait sa journée à se promener dans Rouge Mékong, il découvrirait également de vraies lettres d’amour.»
C’est dire que le récit tourmenté de Sarah Lebovitz est, à bien des égards, celui de Françoise Lavoie-Pilote. «C’est parsemé de mon expérience. À l’époque, j’étais dans la vingtaine, prête à tout balancer pour mon voyage. Disons que je me cherchais plus à ce moment-là que maintenant!»
Certes, l’attitude a changé, mais pas le constat sur l’amour moderne, assez désenchanté. «On est dans une génération qui est vouée à toujours recommencer, analyse la réalisatrice. On passe d’une relation à une autre sans trop réfléchir. À un moment donné, c’est légitime de se demander ce que ça donne. Avec Rouge Mékong, j’ai essayé d’établir un questionnement en évitant de poser des jugements.»
Quelques essais infructueux
Plus de 10 ans auront été nécessaires pour en arriver à ce questionnement. Françoise Lavoie-Pilote a d’abord tenté de monter un film linéaire à partir d’images qu’elle a tournées lors de son voyage en Asie. Insatisfaite du résultat, elle a construit une première version interactive avec l’aide du centre d’art montréalais Oboro en 2006. «Je n’étais pas contente du résultat parce qu’on voyait les fils au plafond et par terre. Ça enlevait quelque chose au côté immersif de l’œuvre.»
La réalisatrice a alors constitué une équipe avec six professionnels du milieu des médias interactifs. «Je n’étais plus capable de continuer ça toute seule, confie-t-elle. Ça devenait trop gros.» Tous prêts à mener le projet à terme, ils ont formé le collectif Lebovitz. «On a tripé ensemble à faire ça, même si on a rencontré beaucoup d’obstacles financiers. Le Conseil des arts du Canada ne nous a jamais donné une cenne. Il y a au moins 60 personnes qui ont travaillé sur le projet et qui n’ont jamais été payées.»
À force de persister, Françoise Lavoie-Pilote a réussi à donner vie à l’œuvre qui l’habitait depuis plus d’une décennie. C’est dans cet aboutissement qu’elle se détache tranquillement de l’esprit chaotique de celle qui, à un certain moment de sa vie, fut son alter ego.
Jusqu’au 25 octobre à la SAT