MACBSP / 50 ans de molinarisme : Pour toi mon Guido
Deux commissaires, deux générations, deux grands connaisseurs de l’œuvre de Molinari. Entrevue avec une spécialiste et un témoin privilégié de l’histoire de l’art québécois.
Décédé en 2004, Guido Molinari était d’abord et avant tout un peintre, mais il était aussi une personnalité médiatique, un mondain et une grande gueule. Lisa Bouraly, adjointe à la direction de la fondation qui porte le nom du principal intéressé, en parle avec admiration: «C’est sûr que c’est un polémiste, à la fois dans sa bataille pour défendre son opinion que pour défendre les artistes qu’il aimait. C’était quelqu’un qui était très présent pendant toute sa vie sur la place publique.»
L’ex-critique d’art et désormais directeur général de la Fondation Molinari, Gilles Daigneault, se souvient, quant à lui, de son grand chum avec une certaine tendresse. «C’était un homme qui était très affable, très riant. Des fois, les gens en avaient peur tant qu’ils ne l’avaient pas rencontré, mais dès qu’on l’avait en face de soi, c’était un homme d’une immense gentillesse, très convivial. Il invitait toujours les gens à parler, donc c’était facile d’être l’ami de Guido.»
Chef de file de l’art abstrait pendant plusieurs années et désormais consacré au panthéon imaginaire des peintres les plus influents de l’histoire du pays, le jeune Molinari n’avait toutefois rien de l’enfant chéri aux yeux des critiques du temps ou même des collectionneurs. Au contraire. «C’est quelqu’un qui a toujours fait à sa tête. On n’aimait pas la peinture plasticienne de personne, la sienne encore moins parce qu’elle était plus radicale que les autres. Quand on voulait attaquer la peinture abstraite géométrique, c’est Molinari qui était la tête de Turc. On tapait dessus. Sauf que quelques années après, le monde va tourner à l’envers un tout petit peu. […] celui qui était le mal-aimé devient la superstar.»
L’effronté sympathique
Autodidacte, Molinari commence officiellement sa carrière à 18 ans malgré un prestigieux concours gagné cinq ans plus tôt avec un paysage figuratif. Dès lors, et trois printemps après le Refus global, il ne se gêne pas pour attaquer ceux qu’il aurait pu choisir pour mentors, les automatistes de la bande à Borduas alors très connus et très forts. Daigneault raconte: «Molinari arrive en 1951 là-dedans et il va faire un coup de force. Il va leur dire: « Vous autres, les automatistes, vous prétendez faire des tableaux qui sont purement instinctifs, mais en réalité je vous regarde aller: vous faites un premier geste très instinctif, mais après vous prenez du recul, pis ensuite vous mettez le pouce comme les peintres naturalistes et vous faites une petite tache au coin opposé qui va répondre à l’autre, une complémentaire, etc. Et puis tranquillement vous allez nous ciseler, vous allez nous fignoler un beau petit tableau qui finalement est un beau petit paysage abstrait, mais constamment soumis à une censure esthétique ».»
Pour Molinari, le vrai tableau automatiste se fait les yeux fermés, dans le noir et en vitesse. C’est ce qu’il fera avec sa première série, l’une des nombreuses qu’on peut apprécier dans l’exposition pensée pour Baie-Saint-Paul. Les œuvres de la (longue) période « hard edge » de même que sa production new-yorkaise y sont aussi présentées. «Notre exposition, ça pourrait s’appeler Molinari pour les nuls. Quelqu’un qui ne connaît rien de Molinari et qui se laisse aller doucement va sortir très, très compétent sur Molinari et va découvrir quelqu’un de très complexe, beaucoup plus que ce qu’on dit des fois quand on ne l’aime pas.»
Du 28 février au 31 mai
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul