After Faceb00k : Immortalité virtuelle et mort réelle
Arts visuels

After Faceb00k : Immortalité virtuelle et mort réelle

After Faceb00k: à la douce mémoire plonge dans un nouveau rituel funéraire véhiculé par le réseau social de Mark Zuckerberg, et nous invite à une réflexion sur le partage d’images publiques dans des circonstances mortuaires, posant un jalon de plus à l’immortalité virtuelle.

Depuis 2012, After Faceb00k travaille à poursuivre le travail de collectivisation de l’image créé par l’arrivée et l’hégémonie du réseau social Facebook. Par un effort d’historicisation et d’archivage, le groupe de créateurs derrière After Faceb00k documente un changement de paradigme dans la photographie actuelle. En considérant l’espace virtuel offert par Facebook et la déferlante d’images quotidienne comme un territoire où l’on peut déambuler, pour ensuite piger allègrement dans l’offre visuelle, le projet After Faceb00k récolte des images, sous forme de captures d’écrans, pour ensuite documenter, archiver et analyser à l’aide d’une classification typologique les milliers d’images croisées au fil des recherches. « On s’intéressait au déversement d’images sur Facebook et on était intéressés au rapport public-privé qui était un peu ambivalent. On était fascinés par l’intimité que l’on était capable de voir dans les images. Cette intimité-là était déjà établie entre les gens sur Facebook qui se documentaient et se diffusaient eux-mêmes, de façon publique », expliquent des membres du projet, souhaitant garder un certain anonymat.

« Ce qu’on a essayé de faire, c’est de découvrir, de façon empirique, quels étaient les choix d’images. On est allés voir dans chaque pays où Facebook est implanté et on a classé sous forme typologique, pour voir s’il y a des régularités et ce qu’on peut en tirer, et de là, on a proposé des projets à des galeries un peu partout au Canada pour se concentrer sur une communauté: comment les gens se médiatisent? Quels sont les choix, les enjeux sociaux et politiques de la communauté? Est-ce qu’on peut les trouver à même la plateforme? Est-ce que les gens peuvent venir avec nous trouver ces images-là pour construire des corpus d’images documentaires? » En se promenant à travers le Canada, After Faceb00k se transforme et se modèle sur les communautés qui reçoivent le projet, en tenant compte des contextes de diffusion des images, des enjeux des communautés et de leurs influences sur le travail photographique et sa présentation.

En ne répertoriant que des images publiques, After Faceb00k ne tente pas de s’introduire dans la vie privée des utilisateurs du réseau social. C’est par un profil « ami », sans ami, que les recherches s’opèrent. Deux procédés ont mené les recherches d’images. D’une part, par l’entremise de sites internet qui répertorient des noms et profils Facebook de personnes décédées. En côtoyant ces chroniques nécrologiques, il est possible d’accéder à des images publiques et de vérifier, entre autres, si un profil commémoratif a été créé ou des groupes thématiques plus spécifiques, par exemple des soldats décédés en Afghanistan. « On a seulement accédé aux groupes publics, accessibles par une recherche Google,“in memory of” ou “à la mémoire de”, par exemple. D’autre part, After Faceb00k s’est créé par l’ancienne méthode de recherche offerte par Facebook, la “Graph Search ” ou “recherche graphique” – aujourd’hui retirée par le réseau social -, un peu plus plus intrusive ou organique, selon les membres du projet. « Je tapais juste “rest in peace” ou “prayer”, “deuil” ou autre, et tout ce qui sortait, c’était des images sur lesquelles les gens avaient commenté “rest in peace”. Ce qui est intéressant, c’est que j’avais accès à du matériel en temps réel de diffusion. Une fois de temps en temps, il y avait des photos, des selfies, pris dans des contextes très intimes. »

Cette nouvelle forme de diffusion permet aux chercheurs et à tous ses utilisateurs de poser un regard nouveau sur son utilisation. Si la question de la visibilité de la mort est soulevée de manière transversale aux recherches, c’est qu’elle survient immanquablement, dès les premières réflexions des chercheurs et du commun des mortels. Certains y voient une représentation particulière à la plateforme, tandis que d’autres y retrouvent une documentation de la mort, à chaque instant, sur un lit d’hôpital, dans un cercueil, et la commémoration démarre à l’instant même du décès: « C’est assez frappant et ce qui renouvelle un peu les rites funéraires, c’est qu’on peut partager ça dès l’instant de la mort. » La fonction de l’image se transforme aussi, par l’intermédiaire du réseau social. Elle s’entrelace ici au texte, porte une conversation, s’exprime autant que le texte pour représenter un moment. Le réflexe de prendre une photo et de la partager avec ses proches et ses amis, au moment du décès, est donc moins surprenant. Ce rituel de deuil particulier se surimpose ici aux rites traditionnels, selon ce que After Faceb00k en retire: « C’est pas quelque chose qui vient remplacer, c’est un ajout. C’est important de le voir comme ça. »

Sous forme de cimetière virtuel, avec des écrans et ordinateurs disposés comme des pierres tombales, l’exposition After Faceb00k: À la douce mémoire invite à la réflexion sur nos rituels funéraires et aux enjeux contextuels qui les entourent, mais aussi sur la relation public-privé véhiculée par le partage d’images, la conservation de celles-ci par le biais de la plateforme sociale, et la continuité de la vie après la mort dans le cadre du changement de paradigme photographique actuel.

Jusqu’au 10 janvier 2016, au Musée McCord.

www.afterfaceb00k.com