Brochu, Preda, Mercader, Fortin : La relève des crayons
Sous leurs traits, on ne devine ni leur âge ni leurs influences, seulement leur talent. Ces jeunes illustrateurs issus de la Vieille Capitale s’inspirent des courants internationaux pour griffonner dans un style bien à eux.
Dès son plus jeune âge, le petit Charles-Étienne s’applique à peindre des harfangs des neiges. Bouleversé d’apprendre qu’on peut dessiner autre chose que des harfangs, il s’inscrit en arts visuels au Cégep de Trois-Rivières, puis en design graphique à l’Université Laval, pour finalement retourner en art. «Ce que j’aime de l’illustration, explique Charles-Étienne Brochu, c’est le fait de raconter des histoires.»
Selon ses propres dires, il se tient à cheval entre les arts visuels et l’illustration, entre le trash et le beau. «C’est amusant de jouer entre ces deux eaux-là, j’ai un côté pop en illustration, super éclaté. J’ai aussi un côté très gentil, pour que ce soit beau et plaisant à regarder. D’un bord, je veux dire quelque chose avec mon dessin, raconter une histoire plus subversive, de l’autre, j’ai un style inspiré des livres pour enfants dont le but est de créer une belle image.» Boursier du programme Première Ovation, il a pu présenter son art «miniwheatesque» lors de sa première expo solo l’an dernier, dans la petite galerie de L’Œil de poisson.
C’est son côté poétique qui a séduit les Montréalais de Fire/Works, tombés par hasard sur le site web de l’illustrateur. Ils lui ont donné carte blanche pour imaginer la pochette de l’album Shenanigans. Ce genre de concubinage musique et illustration fait d’ailleurs bon ménage au Québec entre groupes indie et relève artistique.
La Frida de l’Est
Les mains éthérées de l’image de Ghostly Kisses (ce duo de Québec dont on parle abondamment depuis son succès planétaire sur Spotify), c’est elle qui les a conçues. Difficile de croire qu’Esthera Preda ne dessine à temps plein que depuis un an et demi! «J’ai un parcours d’autodidacte. Avant, je faisais de la vidéo de snowboard; quand l’industrie s’est effondrée, j’ai eu moins de contrats et je me suis mise au dessin et à la peinture, pour explorer d’autres avenues. C’est un adon que ça pogne!»
Habiter au cœur de la forêt, à Fossambault-sur-le-Lac, nourrit l’art de cette fille d’immigrants roumains. «La nature m’inspire énormément, tout comme le folklore. Ma grand-mère avait toutes sortes de croyances qu’on n’a pas ici, ça m’a marquée dans ma jeunesse.» Ses dessins, aériens et délicats, puisent leur sujet autant dans les contes de Grimm et les gravures d’époque que dans les traditions folkloriques du monde entier. «Y a des gens qui pensent que je suis mexicaine! J’aime mélanger les cultures.»
Outre ses collaborations avec des groupes de musique, elle fait de l’illustration pour des magazines, des compagnies de vêtements et même… des tatoueurs! «On me demande souvent de dessiner des tatouages pour des gens d’un peu partout dans le monde.» Troquera-t-elle ses pinceaux pour une machine? «J’y songe!»
Le «Velasquez de Paint»
Ses portraits photoréalistes (autant qu’on peut l’être avec Paint!) sont partis d’une blague. «Ça faisait rire les gens… mais pour moi, c’était des trucs sérieux!» rigole Kaël Mercader. La joke s’est transformée en vrais contrats pour ce fils de caricaturiste, presque né avec un crayon dans les mains. «Je puise mon inspiration dans l’histoire, la caricature, les choses ridicules de l’actualité, le cinéma, la bande dessinée, la musique aussi.»
Il a ainsi signé la pochette de l’album éponyme de Men I Trust (dont l’un des membres, Dragos Chiriac, est l’autre moitié du duo Ghostly Kisses), de délirantes affiches de spectacle pour Ponctuation et des œuvres souvenir en sérigraphie pour un show de Moonface au Palais Montcalm. La microbrasserie Noctem, nouvellement arrivée dans Saint-Roch, lui a aussi passé la commande d’une murale grand format au crayon-feutre, en noir et blanc. Si Kaël ne vit pas encore de son Paint, il espère exposer sa peinture dans une galerie dans un avenir rapproché.
Le «Velasquez de Microsoft Paint»: la formule est d’une autre journaliste de Voir, Catherine Genest, mais elle est si géniale qu’on doit lui repiquer. De toute façon, Kaël Mercader l’a adoptée. «Ça ne me tanne pas d’être associé à Microsoft Paint. Ceux qui me connaissent savent que je ne fais pas que ça, même si c’est ce qui m’a fait connaître, car je suis l’un des seuls à le faire. Ça ne me dérange pas qu’on m’en parle, parce que les gens trouvent ça original!»
La boss des brillants
Pour Christyna Fortin comme pour Charles-Étienne Brochu (ils se connaissent d’ailleurs depuis le baccalauréat), le glissement de l’illustration vers l’art s’opère lentement. «Je ne dirais pas encore que je suis une artiste, sauf que c’est le terme le plus approprié.» Elle a commencé comme illustratrice, avec des estampes numériques et un travail d’à-plat de couleurs vives, mais s’adonne maintenant à la peinture, même si ses tableaux «pourraient être vus sur le même principe que des illustrations». «J’aborde les mêmes sujets: mon univers est assez féminin, j’aime travailler sur la beauté de la femme même si c’est cliché à dire!»
Elle incorpore à ses représentations de femmes puissantes des références à la culture populaire, qui font partie de sa recherche à la maîtrise en arts visuels. «Je passe des heures à faire de la recherche d’images et à les collectionner, je me perds dans Google… Je m’intéresse au mainstream, au cinéma et à la photo. Ces temps-ci, je revisite l’œuvre de David Lachapelle, qui me rejoint avec son univers entre les arts et l’entertainment et son iconographie un peu plastique.»
Et le surnom dont elle s’est elle-même affublée, la «reine des paillettes»? «Ah, ça, ça va avec mon absence de négatif! J’ai toujours été attirée par l’effet visuel du brillant et de la dorure. Avec des paillettes, même les moments banals sont cristallisés; ça magnifie mon image. C’est l’idée que la vie est une célébration.»