Festival de la bande dessinée francophone de Québec : Quatre cases, deux genres
Le mot «bédéiste» est épicène, c’est-à-dire qu’il désigne à la fois le féminin et le masculin. La «place des femmes en BD au Québec», dit-on? La «place de la BD tout court», répondra-t-on.
Le Grand Prix du sexisme
«Viens petite fille», chantait Gainsbourg dans son Comic Strip. Presque 50 ans plus tard, les bédéistes européennes sentent encore le poids de ce paternalisme jovial, comme en témoigne le scandale du Grand Prix du dernier Festival international de la BD d’Angoulême: 30 nominations, 30 hommes. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme dénonce «cette discrimination évidente». Le mot-clic #WomenDoBD est lancé et le tiers des auteurs sélectionnés demandent à être retirés de la liste. Le festival s’excuse maladroitement de ne pouvoir refaire l’histoire de la BD, où les hommes sont majoritaires; la grogne s’intensifie, le FIBD annonce que les votes sont désormais libres. (C’est l’une des figures de proue de la tradition franco-belge, Hermann, qui remporte le prix de la polémique.)
De l’autre côté de l’océan, les bédéistes québécois, tous sexes confondus, se sentent un peu déconnectés du scandale. «J’ai des amies membres du collectif et dans mon Facebook, c’était la folie!» raconte Estelle Bachelard, alias Bach, auteure des deux tomes C’est pas facile d’être une fille (Mécanique générale). «Je n’ai pas l’impression de vivre du sexisme ici. Il faut dire que côté féminisme, la France et le Québec, on n’est pas au même point. Je ne crois pas, enfin… j’espère que ça n’arrivera pas ici.»
Les filles en vedette
Bach en a contre la sempiternelle remarque comme quoi elle travaille dans un milieu masculin. «Ouin, pis? Au Québec, c’est peut-être pas 50-50, mais il y a beaucoup de filles en bd. Dans les festivals, je n’ai pas l’impression d’être dans un milieu d’hommes.» Ses collègues prennent leur juste place, comme en témoigne l’éditeur de Bach, Renaud Plante de Mécanique générale. «Honnêtement, j’ai l’impression que ça évolue depuis 10 ou 12 ans. Cette année, je vais publier plus de femmes que d’hommes! J’y vais avec le sujet, l’illustration, la sensibilité. Le but, c’est d’être reconnu comme auteur, point à la ligne. Moi, je suis content de faire des livres, tout simplement.» Et Renaud d’énumérer des auteures qui ont un succès enviable au Québec, sans égard au fait que ce soit des filles: Zviane, Iris, Julie Rocheleau. «Ce sont des voix qui doivent être entendues, des talents qui doivent être vus.»
À ce sujet, le Festival de la bande dessinée francophone de Québec (FBDFQ) ne s’est pas gêné pour faire la parité parmi les quatre créateurs mis de l’avant: Alex A., Rubén Pellejero, Chloé Cruchaudet et Bach. «Ce n’est pas un hasard, explique Thomas-Louis Côté, «mais ça n’a pas été difficile de le faire.» La Française Chloé Cruchaudet a fait un raz-de-marée dans les prix littéraires avec son Mauvais genre, alors que l’Espagnol Rubén Pellejero réjouit les fans de Corto Maltese, «un beau prétexte pour le faire venir», rigole le directeur du festival. Quant à Alex A. et Bach, leur «bestsellerisme» parle de lui-même, sans égard à leur sexe. De plus en plus, relate Thomas-Louis Côté, les femmes se démarquent dans la bande dessinée, autant au Québec qu’ailleurs, et pas seulement dans la filière clichée «bd de fille», une expression que déteste Bach. «Le problème avec ce terme, c’est que ça va souvent de pair avec nunuche. Mais c’est possible d’être féminine et féministe, de ne pas adhérer aux stéréotypes “rose ou bleu” tout en riant des travers des filles et des gars. D’avoir de la substance. L’autodérision, je m’en sers tous les jours pour me sentir mieux dans ma peau.»
Quand on pense «fille qui fait de la bd», on appelle souvent Bach pour en parler, non seulement parce qu’elle a du succès, mais aussi parce que ça lui fait plaisir de prendre position. Sauf que… «C’est toujours la même question nounoune: “Qu’est-ce que ça fait d’être une femme en bd? ” Ça change rien, voyons, vas-tu la poser à un homme?!» Encore heureux qu’on ne l’ait pas posée!
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À l’approche de la trentaine
Avec sa 29e édition, le FBDFQ est loin de la crise de la trentaine. Cette année encore, en même temps que le Salon international du livre de Québec, la BD sous toutes ses formes envahit la ville. «Nous sommes un festival généraliste, rappelle Thomas-Louis Côté. On n’a pas de créneau par rapport à un style ou un genre. On mise davantage sur des rencontres et des expériences.» Parmi ces dernières, en plus des classiques comme l’impro et le dessin en direct sous toutes ses variations (en formule brunch au Cercle, pendant un spectacle de swing, à la façon d’un orchestre), trois activités sortent du lot. D’abord, la Boum BD, un gros party de musique, de danse et de dessin destiné aux enfants, pourrait rendre les parents jaloux. Ensuite, le Fabuleux cabaret imparfait fera le pont improbable entre cirque et bande dessinée. Puis, c’est au son de l’Harmonie de Charlesbourg et sous les traits de deux dessinatrices que naîtront en direct, sous les yeux des spectateurs, les fantastiques aventures du Baron de Münchhausen, lors d’une soirée de clôture qui promet.
Festival de la bande dessinée francophone de Québec
Du 13 au 17 avril
Plus d’infos via fbdfq.com