BGL : Meilleurs amis pour toujours
Ensemble depuis l’imberbe adulescence, Jas, Seb et Nic brillent sur la scène de l’art contemporain tel un boys band qu’on adule presque. Entrevue avec trois sculpteurs qui vivent le rêve.
Sapés comme des cartes de mode, les trois gars nous ont donné rendez-vous au Ciel, resto de leur bon chum David Forbes niché au 28e étage du Concorde. Ça tourne, le vin coule à flots, les assiettes sont colorées, appétissantes. C’est l’abondance. La vie est bonne pour BGL, et si Christian Bégin n’avait pas éculé le mot, on les présenterait d’emblée comme des épicuriens. Demandez-leur ce qui les soude depuis 20 ans, pour voir. Ils vous parleront immédiatement de plaisir, du gros fun qu’ils ont ensemble.
Naviguer dans le Triangle des Bermudes le temps d’un repas ne se fait pas sans quelques bourrasques de rires, de turbulences joyeusement grivoises et autres blagues lancées du tac au tac. Anticonformistes jusqu’à revoir un petit pan de la tradition journalistique, ils tiennent à être cités en groupe, répondant en chœur de la bouche de leur acronyme à la consonance corpo. Un nom trouvé dans l’urgence, par ailleurs, au moment de produire le carton d’invitation de leur première exposition, «en haut du Subway, juste à côté de l’École des arts visuels» dans un Saint-Roch pas mal moins hip qu’aujourd’hui. Au moment de présenter Déchet d’œuvres (oui, c’est un jeu de mots) à la mi-avril 1996, ils étaient tous trois sur les bancs de l’Université Laval. «On a loué ce local-là et, spontanément, on s’est mis à transformer le lieu à trois et à inventer quelques nouvelles œuvres. On a construit un cabanon en polythène pour ce qui était individuel et on a foutu ça dedans.»
Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière habitent toujours Québec. De leur quartier général, rue Hermine dans un Saint-Sauveur bien différent de celui de la p’tite Robi, ils construisent des décors déstabilisants comme leur dépanneur (nous y reviendrons) ou À l’abri des arbres, œuvre qui les a consacrés au Musée d’art contemporain de Montréal en 2000. Leur commissaire occasionnelle, la réalisatrice du documentaire BGL: Canadassimo et historienne de l’art Marie Fraser, se rappelle. «Ça a été un choc pour à peu près tout le monde qui a vu ça! […] Cette façon d’intégrer le spectateur à l’intérieur même de leur art, c’est très caractéristique de l’art contemporain, c’est très singulier à BGL aussi.»
La «période bois»
Peu anoblissent les déchets et propulsent la scrap au rang des beaux-arts comme BGL. Avec ses influences extérieures limitées, le web étant ce qu’il était en 96, le collectif s’est forgé une identité visuelle racée et forte comme en quasi-huis clos, sous l’effet d’aucune mode. Rapidement, et dès leur première expo professionnelle à l’Œil de Poisson, Mme Fraser remarque chez eux une signature assez unique. «C’était de tout jeunes artistes qui travaillaient le bois et qui s’intéressaient au vernaculaire québécois. Je n’en croyais pas mes yeux! Je trouvais ça tellement original!» De cette époque naîtront des œuvres comme Perdus dans la nature (1998), diptyque composé d’une voiture et d’une piscine hors terre, ainsi que les cabines téléphoniques de Rejoindre quelqu’un installées aux quatre coins de Saint-Jean-Port-Joli en 1999. Des œuvres de jeunesse acquises par le MNBAQ et précieusement stockées dans la réserve muséale.
Viendront ensuite leurs premières installations immersives, À l’abri des arbres et Need to Believe (2005), pour ne nommer qu’elles, œuvres ultra réalistes à faire pâlir d’envie n’importe quel scénographe. Sans parler de leurs œuvres publiques comme La vélocité des lieux (2015), titanesque grande roue qui trône sur Montréal-Nord, ou encore Le dernier étage (2014), stationnement accidenté et enfumé créé pour la troisième mouture du parcours déambulatoire Où tu vas quand tu dors en marchant…? Indomptables touche-à-tout, les gars sont même allés jusqu’à détourner les codes du bobsleigh avec Rapide et dangereux (2005), folle performance impliquant une moto et des patins à roues alignées dans les côtes vertigineuses des quartiers centraux.
Et encore là: ce n’est qu’un mince échantillon de leur portfolio de «has-been», titre dont ils se coiffent depuis l’annonce de l’exposition De Ferron à BGL présentée dès cet été dans le nouveau Pavillon Pierre-Lassonde. «Ça donne un statut particulier qui nous a rendus un peu mal à l’aise au début… Finalement, on s’est dit: “C’est correct! On a influencé plein de jeunes.” Et puis, en même temps, c’est sûr que c’est flatteur.»
Venise-en-Québec
De tout temps, ou presque, Bilodeau, Giguère et Laverdière ont été présentés par la presse comme de fins critiques de la société de consommation. Mais est-ce vraiment la pierre angulaire, comment dire, de leur démarche d’artistes? «Ça, c’est ce que les journalistes ont voulu retenir et avant, c’était le mot écologique qui revenait tout le temps. On pense que ça vient essentiellement du fait qu’on récupère beaucoup. […] On s’en va vers la fin du capitalisme, c’est sûr, c’est un échec total. On est les enfants de ça et ça teinte évidemment notre travail.»
Canadassimo, l’ambitieuse installation en quatre sections présentée à la Biennale de Venise l’an dernier, témoigne forcément de leur réflexion sur le système économique et pas seulement en raison des cannes de conserves peintes puis placées en équilibre les unes contre les autres. L’une des pièces, assurément la plus marquante, était en fait la réplique parfaite d’un dépanneur québécois. Une proposition ancrée dans «la vraie vie», identitaire et tout sauf prétentieuse, qui a marqué plus d’un insulaire italien. «Là, on était les représentants du Canada et fallait pas manquer notre shot! Fallait faire notre petite blague et c’est venu tout seul. […] On est des électrons libres. On a un métier qui permet ça!»
De Ferron à BGL
Dès le 24 juin 2016
Exposition permanente au MNBA11