MURAL : L'art sous pression
Arts visuels

MURAL : L’art sous pression

MURAL est devenu l’un des plus grands rassemblements d’art urbain en Amérique du Nord. Pour souligner sa quatrième édition particulièrement garnie, nous mettons en lumière comment le graffiti est devenu acceptable socialement et nous nous entretenons avec le collectif A’shop, figure de proue du graffiti à Montréal.

Forme de revendication ancestrale, les graffitis remonteraient à la Rome antique, selon des traces qui auraient été trouvées. C’est toutefois l’urbanité étouffante du New York des années 1960 qui a vu naître sa forme la plus reconnue. Ces lettrages souvent cryptiques et difficiles à déchiffrer qui ornent les trains et les murs de toute cité qui se respecte ont énormément évolué au fil du temps, au point où l’on peut aujourd’hui assister à la création de véritables chefs-d’œuvre de plus de dix mètres de haut. Cette forme d’art urbain a même réussi à se faufiler hors de son statut d’illégalité pour devenir respectée et reconnue en dehors du cercle restreint de la sous-culture qui l’a engendrée.

Des événements massifs tels que le festival MURAL sont d’excellents témoins de la place de choix qu’occupe maintenant le graffiti dans le monde des arts visuels. S’étendant sur un long tronçon du boulevard Saint-Laurent, cet incontournable des amateurs d’art urbain montréalais invite des artistes de partout dans le monde pour laisser ceux-ci s’exprimer sur de gigantesques murs de la métropole. Mais le festival ne laisse toutefois pas de côté les artistes d’ici. Effectivement, plusieurs gros noms du graff montréalais seront de la partie cette année. Du nombre, on peut compter sur la présence de deux membres du collectif A’shop, les artistes FONKi et ZEK.

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Crédit photo : FONKi / Artiste : FONKi et Miss Terri

Fondé en 2009, A’shop (prononcé comme un «à la shop» bien québécois) s’emploie à produire des œuvres pour différents clients commerciaux et privés. Passant des murs à la toile et tout ce qu’il y a entre les deux, les artistes du collectif maintiennent un souci esthétique qui s’ancre fortement dans leurs origines de tagueurs. Reconnus tous deux comme de réels pionniers de l’art urbain à Montréal, ZEK et FONKi étaient un choix évident pour les programmateurs de MURAL.

Institutionnaliser l’illicite

Mais comment s’est opérée cette transition de la rue vers les galeries pour un art somme toute rebelle? Selon FONKi, le shift s’est fait un peu avant sa propre venue sur la scène: «Moi, on peut dire que je suis dans la bonne génération. J’ai suivi les pas de ceux qui ont ouvert la voie. Quand j’étais très jeune, j’ai observé beaucoup d’artistes défoncer les portes. Fluke et ZEK ont réellement démocratisé cet art.» Cette acceptation du graffiti comme un art respectable est toutefois venue un peu plus tard à Montréal que dans les berceaux de l’art urbain. Effectivement, autant à New York qu’en France, les artistes initiateurs des années 1970-80 ont rapidement rejoint des cercles plus élitistes, tandis qu’ici on peut dire que c’est à la fin des années 1990 et au début des années 2000 qu’un public plus large s’est intéressé au graffiti.

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Crédit photo : FONKi / Artiste : FONKi

Alors qu’on peignait auparavant à la va-vite sur des murs ou des wagons dans la peur constante des autorités, on pouvait désormais combiner le côté rebelle du graffiti à des créations commanditées et des œuvres plus «acceptables» socialement. C’est cette révolution qui a préparé le terrain à la venue de nouvelles formes légales permettant aux artistes de démocratiser leur art et de le faire connaître sans être forcés d’œuvrer dans un anonymat total. La création en 1995 du festival Under Pressure, véritable messe sacrée du graffiti à Montréal tenue chaque année sur la rue Sainte-Catherine, a probablement été un des premiers signes probants d’un changement d’attitude de la Ville envers le pressionnisme.

Le graff rejoint l’«establishment»

Progressivement, l’art de rue est devenu une curiosité attrayante pour le commun des mortels. De plus en plus de commerces se targuent d’arborer un mur peint par tel ou tel artiste, et la vente de canettes va bon train. La fondation même de collectifs légitimes comme A’shop est une preuve notable de la bonne santé du milieu du pressionnisme. Lorsque Fluke a fondé la compagnie il y a sept ans, plusieurs artistes montréalais donnaient déjà dans la commande privée et commerciale. Certains d’entre eux n’avaient toutefois pas des aptitudes très développées de gestion et d’entrepreneuriat, ce qui aurait pu leur nuire à la longue. Possédant lui-même de bonnes capacités dans ces domaines, Fluke a donc roulé ses manches et s’est affairé à trouver des collaborateurs avec qui démarrer une entreprise qui offrirait à ses clients le talent d’artistes du graff tout en aidant ces derniers à gérer les aspects plus administratifs de leur art.

Du côté de MURAL, c’est en 2013 qu’est né le festival. Il donne donc depuis la réplique à Under Pressure, s’établissant comme un peu moins «street» que son prédécesseur. On y vient comme amateur d’art, avant tout, alors que le public d’Under Pressure s’intéresse tout autant à l’ensemble de la sous-culture du graffiti qu’à l’art lui-même. MURAL répond à un groupe un peu différent, et montre que des artistes de tous horizons arrivent désormais dans le milieu du graff. On peut y voir des créateurs qui étaient, à la base, graphistes ou illustrateurs qui se lancent dans une forme plus massive d’art. Le pressionnisme a donc fait un tour complet. Partant au départ de manipulateurs de canettes nés de la rue, devenant ensuite une forme d’art établie, le street art est maintenant rejoint par des artistes qui viennent de milieux tout autres et qui n’ont pas nécessairement appris à la dure en peinturant dans la peur constante des policiers.

Crédit photo : MURAL
Crédit photo : MURAL / Artiste :  Axel Void

Cette arrivée d’artistes de tous horizons sur la scène de l’art urbain dans les dernières années insuffle une nouvelle vitalité au mouvement. Les créations varient de plus en plus, et on assiste à des innovations dans un milieu qui aurait pu se mettre à stagner. De son côté, FONKi est d’avis que ce melting-pot est positif: «C’est un gros zoo! C’est comme un grand champ de campagne. Y en a qui aiment les pissenlits, d’autres qui disent que c’est de la mauvaise herbe, et des Italiens qui vont en faire une salade! Y en a pour tous les goûts de nos jours.» Une citation qui résume bien l’état actuel dans lequel se trouve l’art urbain, jouissant d’un dynamisme qui ne semble pas près de s’éteindre.