Fenosa et Picasso : Histoires de l’art
Apel·les Fenosa était, pour ainsi dire, le sculpteur «pipole» par excellence de l’entre-deux-guerres. Amant de Coco Chanel et protégé de Pablo Picasso, le Parisien d’adoption a notamment réalisé les bustes de Jean Cocteau et Dora Maar.
L’environnement dans lequel s’est épanoui Fenosa rappelle en tous points l’ambiance de Midnight in Paris, récent film de Woody Allen qui dépeignait l’effervescente scène artistique de la capitale française dans les années 1920. Le cocommissaire Clément Paquette a justement choisi d’articuler l’exposition du Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul autour des amis célèbres du Barcelonais, une porte d’entrée séduisante pour découvrir son travail. «Fenosa est passé à l’histoire parce que beaucoup de personnalités ont tourné autour de lui. On parle notamment de Cocteau et son amant Jean Marais, deux personnages qui ont fait faire leurs bustes par lui. Coco Chanel a aussi fait faire son buste par Fenosa. Avant qu’il ne rencontre Nicole, Fenosa a eu Coco Chanel comme maîtresse.»
Justement, l’immortelle couturière est l’objet d’une section thématique meublée de lettres entre les deux amoureux, de photographies et d’une gravure de Salvador Dalí que Gabrielle avait offerte à sa tendre moitié. Paul Éluard, Tristan Tzara, Man Ray, Max Jacob et Jean Cocteau prêtent aussi leurs noms aux autres parties de l’exposition totalisant 114 œuvres, dont 24 de Picasso. «C’est une exposition qui démontre l’amitié qui a existé non pas simplement entre Fenosa et Picasso, mais bel et bien d’un groupe d’amis qui séjournaient occasionnellement dans la vie de ces deux êtres.»
Très proches, les deux Espagnols exilés ont même été amenés à créer ensemble, en duo, pour la confection du buste de Dora Maar qui était alors l’amante de Pablo. Une œuvre de 1941 qu’on pourra par ailleurs admirer au MACBSP. «On raconte que ce buste a été réalisé à quatre mains, puisque lorsque Fenosa s’est retiré de l’atelier, Picasso a été ajouter quelques traits pour finaliser cette sculpture. Nous aurons le bronze, au musée, mais le modèle a été réalisé en terre glaise.» Amis depuis 1923, grâce au peintre catalan Pere Pruna qui avait joué les entremetteurs, ils ont évolué en tandem, et la production personnelle de Fenosa s’est vue grandement influencée par le grand maître du cubisme. «Au tout début, il n’aimait pas tellement ce que Picasso faisait parce que c’était très avant-gardiste comparativement à son travail. […] Au fil du temps, on voit qu’il se dirige vers des abstractions, le corps féminin se transforme et devient même une métamorphose au niveau d’un feuillage où on ne reconnaît plus la femme, mais simplement la courbe.» De cette période, on pourra notamment apprécier la maquette du Monument aux martyrs d’Oradour-sur-Glane, œuvre qui témoigne du lien particulier et très émotif de l’artiste, anarchiste autoproclamé et déserteur, vis-à-vis de la guerre. «Oradour-sur-Glane est une ville en France où il y a eu un massacre pendant la Seconde Guerre mondiale. […] C’est une ville où on a séparé les enfants et les femmes des hommes et on les a littéralement fusillés.»
Pour Nicole
Elle était danseuse de profession, modèle et muse pour son mari. Nicole Fenosa est de celles qui ont marqué l’histoire de l’art à leur manière, par leur grâce et leur dévouement survivant à la mort. Elle était veuve du sculpteur depuis une quinzaine d’années quand son chemin a croisé celui de Clément Paquette en 2004. Une rencontre qui constitue le point de départ, une bougie d’allumage pour cette exposition qui sera incessamment présentée dans Charlevoix. «C’est le hasard qui m’a amené vers elle. J’étais à Paris avec un ami galeriste de Montréal, Antoine Blanchette, et il m’a dit: “On va aller chez Mme Fenosa, je vais te la présenter et après on va à un vernissage.” Je ne connaissais absolument pas Apel·les Fenosa à ce moment-là. […] Quand nous sommes revenus du vernissage, elle m’a demandé si je pouvais organiser une exposition pour faire connaître Fenosa en Amérique.» Triste dénouement: Nicole, décédée en 2013, ne verra jamais la couleur dudit événement en hommage à son mari, projet qu’elle a elle-même idéalisé.
M. Paquette a également pu compter sur d’autres spécialistes et proches parents des deux artistes. Le directeur de la Fondation Apel·les Fenosa José Miguel García en est et il partage avec lui les tâches de commissaire. L’expertise et la collection de Bertrand Ruiz-Picasso, petit-fils de l’autre, ont également été mises à contribution. Une mobilisation Québec-Europe sans précédent pour célébrer un artiste qui n’avait jamais, de son vivant, mis les pieds de ce côté-ci de la mare.
Du 18 juin au 6 novembre 2016
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul