Pavillon Pierre Lassonde : L'art est une fête
Arts visuels

Pavillon Pierre Lassonde : L’art est une fête

Point culminant d’une chaîne humaine tissée pendant les dix dernières années, l’inauguration du pavillon Pierre Lassonde mettra Québec sur la carte du circuit muséal mondial. Un événement réellement historique pour la capitale et, surtout, pour l’art contemporain de la province tout entière.

Étendre le parc, celui des Champs-de-Bataille, en verdissant de tourbe les toits des trois imposants paliers d’un bâtiment de verre ultra-lumineux. C’est, grosso modo, le concept de la firme OMA menée par la super-vedette Rem Koolhaas. Des plans à l’avant-garde tranchant avec le conservatisme architectural relatif de la ville de Québec qui se sont vus matérialisés par Provencher_Roy, une entreprise de Montréal. Un écrin spectaculaire, lui-même étudié par les historiens de l’art, qui mettra forcément en valeur la collection du MNBAQ. Line Ouellet, directrice et conservatrice en chef de l’institution nationale, ne cesse de se pincer. «On a le sentiment d’accomplir quelque chose qui est beaucoup plus grand que soi et de participer à un grand moment qui nous porte à une échelle qui est difficile à décrire. […] Québec est une ville d’exception en Amérique du Nord par son échelle humaine, son histoire, son fait français. Tout cela a beaucoup inspiré nos architectes.»

Pavillon Pierre Lassonde
Photo : MNBAQ, Iwan Baan
Pavillon Pierre Lassonde
Photo : MNBAQ, Iwan Baan
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La concrétisation de ce titanesque projet est imminente. Le 24 juin, date à forte valeur symbolique, sera marqué par une grande fête populaire déployée jusqu’à la rue Cartier. L’intelligence vive et les folies d’Alexandre Fecteau, metteur en scène et auteur très en vue sur la scène théâtrale locale, seront mises à profit avec La folle foire, spectacle interactif multidisciplinaire présenté en matinée. C’est sur le coup de midi qu’on coupera le ruban et ouvrira les portes gratuitement, geste d’accueil suprême, à quiconque voudra visiter le pavillon Pierre Lassonde. Il en va de même, par ailleurs, pour le choix du porte-parole, un certain chanteur populaire répondant au nom de Pierre Lapointe. «Il est clair qu’une institution comme la nôtre veut rejoindre le grand public. On cherche aussi quelqu’un qui va parler à notre clientèle spécialisée de façon crédible. […] Je pense que Pierre est l’une des rares personnes qui marie ces deux aspects: un amour de l’art qui est sérieux et qui est très profond et une façon d’en parler qui connecte avec le très large public.»

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Photo : Jocelyn Michel (Consulat)

Lui-même illustrateur à ses heures – créations top secrètes qu’il décrit humblement comme des «vomis de cerveau» –, Lapointe a étudié les arts plastiques au cégep et à l’université avant de se tourner vers la musique. Un cursus scolaire de touche-à-tout entrecoupé par des cours en théâtre. «Je ne savais pas comment trancher, je ne savais pas ce qui m’intéressait le plus. La chanson, c’était la dernière chose sur ma liste et c’est ça qui a marché le plus. J’ai toujours utilisé la chanson comme vecteur pour toucher au théâtre, à l’art contemporain, au design, à la mode.» Avec le temps, il a été amené à travailler avec Dominique Pétrin et Doyon-Rivest, pour ne nommer qu’eux, et son personnage médiatique est devenu (par la force des choses) un canal de diffusion pour les artistes visuels qu’il admire, qui le nourrissent.

Il embrasse donc son titre de porte-parole des festivités d’ouverture du pavillon Pierre Lassonde avec ferveur et franchise, une passion dégoulinante et contaminante. Son souhait le plus cher: amener les gens à être curieux, à s’ouvrir. «J’insiste toujours sur le fait que je ne viens pas d’un milieu élitiste. J’ai apprécié l’art sans avoir de bagage culturel hallucinant. […] Une œuvre, c’est là pour créer, susciter des réactions chez les gens, chez tout le monde. C’est comme la culture du vin: tu peux trouver un vin bon même si tu n’as pas le vocabulaire d’un sommelier. Tu peux trouver une œuvre abstraite belle et émouvante même si tu n’es pas capable de décrire exactement ce que tu as sous les yeux.»

Libérez le trésor

Jalousement cachée dans la réserve depuis un bail, la collection d’art contemporain du MNBAQ sera déployée pour la première fois dans les six salles du nouvel édifice. Des œuvres de 1960 à aujourd’hui – certaines sont d’ailleurs très récentes – réparties en quatre expositions distinctes: De Ferron à BGLArts décoratifs et design du QuébecInstallations et Ilippunga, une sélection d’œuvres issues de la collection d’art inuit de la galerie Brosseau. Un anachronisme, penserez-vous peut-être? Que nenni! «C’est seulement au moment de leur sédentarisation et au contact des Blancs que se sont développés le marché et la pratique de l’art inuit. On oublie assez souvent cela, mais c’est la vérité, explique Mme Ouellet. C’est vraiment après la Deuxième Guerre mondiale que les marchés se sont internationalisés et qu’on a vu apparaître l’intérêt pour l’art inuit partout à travail le monde.»

Bernard Lamarche, ancien critique pour Le Devoir et conservateur de l’art actuel au MNBAQ depuis 2012, s’est fait commissaire pour Installations à grande échelle. «Une série d’expériences» tantôt spectaculaires et tantôt intimistes, mais toutes captivantes par leur théâtralité intrinsèque, qui l’animent depuis deux ans maintenant. «Au total, j’ai 9 salles et 34 œuvres sur plus de 3000 mètres carrés. Pour l’art québécois, sauf erreur, il n’y a jamais eu un volume aussi important consacré à une seule expo.» En plus d’occuper tout le rez-de-chaussée du pavillon Pierre Lassonde, le corpus s’étendra jusqu’au pavillon Gérard-Morisset. Un gros festin, mais un défi de taille pour redonner corps aux installations vieillottes (les plus anciennes remontent à 1977) qui ont été fabriquées à l’aide de technologies obsolètes ou d’objets fragiles qui ont brisé avec le temps. C’est le cas des capteurs de caoutchouc de POD, œuvre créée par Steve Heimbecker dans le cadre du Mois Multi de 2003 et conservée intacte en quasi-totalité. «Beaucoup de gens [d’ici] vont s’en souvenir. C’est 64 diodes lumineuses qui s’allument et s’éteignent. Y a une espèce de mouvement qui est celui du vent. À l’époque, il y avait des capteurs qui étaient à l’extérieur et ils envoyaient par le web des données vers l’installation qui les traduisait en signaux visuels l’amplitude et la force du vent. […] Ce qu’on va voir, c’est des vents qui ont soufflé sur Québec au début du 21e siècle. Ça devient un voyage dans le temps.» C’est aussi l’unique secret que le présent article vous révélera, seule entrave à l’embargo très strict mis en place par l’équipe du MNBAQ qui ne vise qu’une chose: garder la surprise jusqu’à la toute fin!

Au musée
Propos recueillis par Catherine Genest

Amoureux de l’art contemporain québécois, Pierre Lapointe est le porte-parole du pavillon Pierre Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec. De ses grands complices, quatre seront en vedette au MNBAQ dans le cadre de l’inauguration qui aura lieu le 24 juin à Québec. Il nous les présente.

David Altmejd

«Ensemble, on a fait un opéra contemporain [Conte crépusculaire] en collaboration avec Yannick Plamondon, qui est d’ailleurs en train d’écrire une œuvre pour l’ouverture du musée. […] C’est une de ses grandes installations qui est présentée au MNBAQ. David est, à mon avis, et je ne crois pas que beaucoup de gens vont me contredire, un des plus grands artistes qu’on a connus au Canada dans notre jeune histoire de l’art. C’est probablement l’un de ceux qui ont le plus de visibilité à l’international. […] Ce que j’ai toujours dit pour décrire le travail de David, c’est qu’il prend des matières très pauvres et très nobles en même temps comme des pierres, des animaux empaillés, des miroirs, du plastique ou du fil. Il fait des bijoux gigantesques à partir de ces matières-là et, pour l’avoir vu travailler de proche, c’est vraiment un don qu’il a pour animer la matière morte et la rendre vivante.»

David Altmejd, The Flux and the Puddle, 2014. Installation, matériaux divers, 327,7 X 640,1 X 713,7 cm. Photo: MNBAQ, Marie-Hélène Raymond
David Altmejd, The Flux and the Puddle, 2014. Installation, matériaux divers, 327,7 X 640,1 X 713,7 cm. Photo : MNBAQ, Marie-Hélène Raymond

BGL

«Je les ai découverts avec À l’abri des arbres au Musée d’art contemporain de Montréal, une installation qui était une espèce de labyrinthe. Je croyais que j’allais voir la plus grande mise en scène de ma vie au théâtre, en danse ou au cinéma et puis je l’ai vue dans un musée d’art contemporain! Ils travaillaient le thème du bois et moi j’étais en train de commencer à penser au show de La forêt des mal-aimés. Je leur ai demandé de travailler avec moi et ils m’ont suggéré de construire un plafond flottant comme dans un bureau administratif en plein milieu de la forêt. On a passé quatre jours à faire des photos sur le bord de la 20 dans une érablière pas très loin de Québec. […] Leur discours a, à mon avis, beaucoup de valeur, et ce n’est pas parce qu’ils se prennent la tête. Au contraire, c’est parce qu’ils sont drôles et rafraîchissants, et ça fait du bien dans le milieu de l’art contemporain d’avoir quelque chose de léger comme ça qui a autant de puissance et de cohérence.»

BGL, Perdu dans la nature (La Voiture), 1998. Bois de grange et bois peint, 122 x 435 x 158 cm (ensemble). Musée national des beaux-arts du Québec, achat (2000.356). © BGL. Crédit photo: MNBAQ, Patrick Altman
BGL, Perdu dans la nature (La Voiture), 1998. Bois de grange et bois peint, 122 x 435 x 158 cm (ensemble). Musée national des beaux-arts du Québec, achat (2000.356). © BGL. Photo : MNBAQ, Patrick Altman

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