Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie : Arrêt sur image
Arts visuels

Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie : Arrêt sur image

Il faut imaginer une galerie d’art à moitié à ciel ouvert, ici en pleine forêt, là dans la ville, qui s’étend sur plus de 800 kilomètres et longe jusqu’au golfe du Saint-Laurent. Ce sont là les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie, peut-être la manifestation artistique contemporaine à la fois la plus méconnue et la plus vaste de toute la province.

C’est à un Montréalais d’origine, Claude Goulet, que les Rencontres doivent leur existence. Et aussi à une femme, celle de Claude, qui l’a amené en Gaspésie. «J’ai toujours été amateur de cinéma et de photographie», relate le fondateur et directeur général et artistique. «Quand je suis arrivé en Gaspésie, je me suis dit qu’il fallait organiser quelque chose qui se démarque. C’est facile d’exposer des photos, mais au-delà de ça, que peut-on faire?»

En voyage à Arles, il rencontre le photographe d’origine suisse Jean-Daniel Berclaz, qui crée des interventions dans le paysage. Touché par ses œuvres et leur lien avec le lieu, Claude Goulet propose à l’artiste de reproduire son idée sur le territoire gaspésien: c’est la création, en 2008, du Parcours du point de vue – Gaspésie, rassemblant cinq photographes. Par la suite, il se rend au Mois de la photo à Paris et y fait la connaissance de François Hébel, le directeur des Rencontres d’Arles. «Il m’a dit: “Mais pourquoi vous ne lanceriez pas un événement photo?”»

Territoire occupé

Inspiré par la proposition de François Hébel, Claude Goulet instaure les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie et les étend à l’ensemble de la péninsule. «Je voulais qu’on occupe le territoire. J’ai donc communiqué avec des municipalités. La première année, en 2010, il n’y avait pas beaucoup d’artistes étrangers; il fallait faire nos preuves.» Maintenant, les Rencontres couvrent une vingtaine de sites dans 17 municipalités et parcs nationaux de la région (parcs nationaux de la Gaspésie, de Forillon, de Miguasha et de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé) et accueillent une trentaine d’artistes du Québec, du Canada et d’un peu partout à travers le monde. Les lieux d’exposition varient, du centre d’artistes à l’entrepôt en passant par un théâtre, un stationnement, un centre commercial et même une halte routière. «L’an passé, nous avons eu près de 70 000 visiteurs», raconte fièrement le fondateur, «principalement des touristes. C’est une autre façon de faire le tour de la Gaspésie!»

Image animée

Pour cette septième édition, qui se déroulera de la mi-juillet au début octobre, le thème est «L’image en mouvement». Mais Claude Goulet tient à préciser: «On ne parle pas de cinéma!» Des œuvres comme celles du Montréalais Serge Clément, qui diffusera trois courts métrages dont D’aurore (primé par le CALQ), bien que jouant avec les nouvelles technologies et le montage, restent très proches de la photographie, leur matière première. Même chose pour l’installation gaspésieARCADE de Stephen Lawson, Shauna Janssen et Aaron Pollard (Montréal), résultat d’une résidence de création du 8 au 17 août. L’idée des trois compères, d’abord testée à Montréal et à Berlin, est de faire appel au public pour photographier des endroits cocasses ou significatifs en ville. À partir de ces images, les artistes créent une installation sonore et visuelle grâce à une boîte à chaussures, un iPad et des écouteurs. À voir dans un conteneur (oui!) dès le 18 août.

Photo: Guillaume D. Cyr, Journal de la Stone 1965-2015
Photo: Guillaume D. Cyr, Journal de la Stone 1965-2015

En rafale: la jeune Catherine Tremblay projettera des images poétiques de mer et de portraits sur un grand cube in situ; Michel Lamothe proposera avec Photogrammes une rencontre entre photographie et cinéma; le Français Jacques Damez présentera le fruit de son parcours de Montréal à Gaspé pour enregistrer les accents régionaux et immortaliser le paysage en duo été-hiver; Guillaume D. Cyr, originaire de New Richmond mais établi à Québec, exposera Journal de la Stone, qui documente avec sensibilité l’aspect humain de la fermeture de la cartonnerie Smurfit-Stone. Bien d’autres annonces sont encore à venir.

Touchante humanité

Photo: Hanne Van Der Woude, Emmy's World, Ben at the seaside
Photo: Hanne Van Der Woude, Emmy’s World, Ben at the seaside

Une autre installation incontournable de la septième édition des Rencontres est Emmy’s World de la Néerlandaise Hanne van der Woude (dont la série sur les roux MC1R – Naturally Red Hair a circulé pas mal sur le web). Jumelant photo et vidéo, la photographe montre l’intimité d’un couple d’octogénaires, Emmy et Ben, et du frère de Ben, qu’elle a suivis pendant cinq ans. L’anticonformisme d’Emmy, elle-même artiste, l’amitié qui unit les trois protagonistes ainsi que la photographe et les aléas de la vie sont documentés avec poésie et luminosité par van der Woude.

Photo: Isabelle Hayeur, République 06
Photo: Isabelle Hayeur, République 06

Enfin, l’actualité devient sujet d’art alors que sera exposé le corpus photographique République signé Isabelle Hayeur, qui se penche sur les répercussions des attentats du 13 novembre dernier à Paris. Alors en résidence à Beauvais justement pour les Rencontres, la photographe se retrouve face à une ville paralysée. Isabelle Hayeur saisit alors son objectif, qu’elle braque sur les passants, le paysage urbain, le Monument à la République devenu un mémorial improvisé. «La nuit est douce pour novembre, mais Paris est vide.»

Sur la route

Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie tiennent au mot «rencontres» et le concrétisent avec la Tournée des photographes. Du 18 au 21 août, des rencontres publiques, des discussions sur la création, des tables rondes et conférences ainsi que des projections grand public prendront la route de la péninsule, avec le Quai des arts de Carleton-sur-Mer comme point de départ. C’est d’ailleurs là que l’exposition Le livre photographique sera présentée, sous le commissariat de Serge Allaire.

Pour Claude Brunet, la tournée est un élément fort des Rencontres: «C’est l’occasion pour les artistes de se faire connaître, de parler de leur travail. Il y a aussi tout un volet d’éducation à l’image. Oui, on parle d’art contemporain, mais la formule rend les gens à l’aise. L’année dernière, lors de la tournée, ça s’est même terminé par un souper au bord du feu. C’est comme une fête de la photographie!»

Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie
photogaspesie.ca