Annie Baillargeon : Natures pas si mortes
À la façon d’un millefeuille surréaliste, l’artiste multidisciplinaire Annie Baillargeon superpose performance, photographie et peinture pour créer des natures mortes pleines de vie.
Au milieu d’une clairière au plancher végétal en décomposition, en plein champ de citrouilles ou sur un tapis de branches et de mousse, l’artiste se met en scène, parfois de façon multipliée, dans des décors inquiétants qu’elle magnifie avec la peinture. «Je veux recréer des univers plus près de la peinture que du dessin ou de la photo. En retravaillant les dimensions, je sors un peu de la réalité», explique Annie Baillargeon.
Tout comme son œuvre, sa démarche additionne les couches, ce qui peut donner une impression de doux vertige. «Je commence par faire un repérage des lieux, comme en cinéma. Le boisé chez mes parents, le champ de citrouilles d’un ami… Puis, je fais un sketch des actions prévues, tout en me laissant de la latitude pour improviser sur place. Arrivée sur place, je n’utilise pas de trépied, j’engage plutôt un photographe, car mon travail est à la base une petite performance.»
Son cycle Les natures mortes: épisodes de petits déclins est le fruit de ce travail multidisciplinaire aux thèmes surréalistes, alors que l’artiste explore l’ambivalence entre beauté et laideur dans un esprit rappelant le rêve ou la fête. «Je suis partie de l’idée de la nature morte, fanée, pour présenter une réflexion globale sur la façon dont on se nourrit, ce qui inclut aussi l’alimentation psychique.»
D’abord exposé à la Galerie D’Este à Montréal l’automne dernier, ce cycle d’une vingtaine d’œuvres est repris en partie à la Galerie 3 de Québec en septembre, incluant quatre nouvelles créations. Ces scènes de rituels, intitulées Les fringales ou Les récoltes, sont fortes de symbolisme et proposent plusieurs lectures. «Je réfléchis à comment le corps réagit à son habitat, à comment il absorbe son environnement. J’appellerais ça la “coquille confrontée”. C’est très onirique, ce sont des scènes de rêves, avec beaucoup de mise en scène.»
Rencontrée dans son atelier du quartier Saint-Sauveur, Annie Baillargeon s’attelle déjà à son prochain cycle, qui sera présenté à l’hiver au centre d’art et d’essai Occurrence, à Montréal. «C’est drôle, c’est carrément l’inverse des grands paysages! Cette fois-ci, je mets le corps pris dans de petits petits environnements, comme des boîtes. » Le thème du corps exploité et déconstruit sous tous ses angles est omniprésent dans le travail de l’artiste, et ce, depuis près de 15 ans. Que ce soit dans l’une de ses expos solos à Montréal (Maison de la culture Frontenac, Galerie d’art d’Outremont), à Québec (L’Oeil de Poisson, Centre VU) ou ailleurs au Canada, ou avec ses performances (on l’a connue comme cofondatrice des Fermières Obsédées, groupe d’art action à l’esprit postpunk, et elle s’active maintenant au sein du collectif B.L.U.S.H.), Annie Baillargeon s’attarde à une «représentation exaltée et transgressive du corps», pour reprendre textuellement sa démarche.
Pour Norbert Langlois, copropriétaire de la Galerie 3, le travail d’Annie est un coup de cœur, tout simplement, et a assurément son importance dans l’art contemporain. «Annie a une grande sensibilité; il n’y a pas une œuvre d’elle que je n’ai pas aimée. Sa marque est faite dans le milieu de l’art québécois.» Le galeriste est plus qu’enthousiaste à l’idée de présenter pour la première fois à la Galerie 3 une exposition solo de l’artiste. «Le fait qu’elle puisse faire de la performance, de la photo et de la peinture de cette qualité démontre l’étendue de son talent. Intervenir à la main sur une photo, ça peut tellement mal virer! dit-il en riant. Mais pas avec Annie: ça ajoute une tout autre dimension à son œuvre. »
Le galeriste, qui est aussi collectionneur d’art depuis plus de vingt ans, poursuit sur sa lancée. «Avec ses Natures mortes, Annie a trouvé quelque chose de simple qui renouvelle son travail, qui est conséquent avec son œuvre. Elle crée des tableaux troublants, qui ont quelque chose de la fête foraine, quelque chose de beau, mais en même temps d’inquiétant. L’interprétation qu’on peut en faire est extrêmement large, et ça, c’est fort! Annie se met elle-même en scène: sa photo est une performance et dans la multiplication de son corps, il y a quelque chose de beau et de généreux.» C’est ainsi à un grand pique-nique imaginaire, qui remet en question les nourritures terrestres (pour emprunter à André Gide), que le spectateur est invité.
Les natures mortes: épisodes de petits déclins
Annie Baillargeon
Galerie 3
Du 23 septembre au 23 octobre 2016