Pierre Bonnard: Le Marcel Proust de la peinture
L’analogie a été soulevée par moult auteurs. Pierre Bonnard cherchait le temps perdu, l’immortalisait sur toile, le célébrait par une palette de couleurs exquises, inoubliables.
Son travail n’avait rien de spectaculaire, de tape à l’œil. Pierre Bonnard esquissait à l’ombre des jeunes filles et des fleurs. Sa production était très personnelle, affective, essentiellement inspirée par son amoureuse. Une belle histoire qui survit au temps et même à la mort, une relation fusionnelle à souhait qui a ému le coordonnateur de l’exposition André Gilbert. « En 1893, Bonnard rencontre Marthe qui va être son modèle, sa compagne et, finalement, son épouse pendant 50 ans, jusqu’à sa mort à elle. […] Il va la peindre toute sa vie comme une femme de 25 ans. Elle ne vieillit jamais. » Marthe avec le chien, dans la baignoire, devant une tasse de thé. Des scènes de la vie quotidienne qui évoquent la douceur, cet espèce de huis-clos à la campagne avec sa tendre moitié.
La vie n’a toutefois pas toujours été aussi calme et contemplative pour Bonnard. Membre des Nabis, un collectif d’artistes dans le vent qui était au Paris de la Belle Époque ce que Canadian Bacon est à Québec aujourd’hui, le créateur d’images se fait d’abord connaître comme graveur. Ses affiches ont marqué la culture populaire, notamment celle de France Champagne, l’un des premiers poster de l’ère moderne avec ceux de Toulouse-Lautrec. Une dame échevelée et une coupe débordante de bulles reproduite à outrance sur des sous-verres, des calendriers, des napperons.
André Gilbert : « Nabi, c’est en hébreux et ça veut dire prophète. Ils étaient un peu ésotériques en fait. »
Il sera aussi porté par la vague du japonisme, grosse tendance picturale au début du siècle dernier, s’offrant au passage un exercice de style exotique. Des lignes courbes, des arabesques, des cadrages audacieux en phase avec l’époque.
Au-devant des modes, il façonnera de toutes pièces la « la Parisienne», celle qui est vêtue de noir, coiffée d’un grand chapeau de la même non couleur. Un personnage devenu iconique qui lui sera piqué par une myriade de collègues.
Mais de toutes les séries de Bonnard, c’est certainement celle de sa mission artistique qui tranche le plus. Des tableaux réalisés au front, carrément, aux côtés des combattants français pendant la Première Guerre mondiale. Une profession de foi patriotique pour peintre, ni plus ni moins. « [L’armée de France] engageait des groupes d’artistes, c’était volontaire, ce n’était pas obligatoire comme le service militaire et, de toute façon, il était déjà trop vieux pour être envoyé au front. » Une œuvre de cette période, Un village en ruines près de Ham, sera présentée au MNBAQ. « On voit le village qui est détruit par la guerre et, évidemment, des groupes de soldats qui sont actifs. C’est sûr que c’est la figuration de Bonnard, ce n’est pas une figuration réaliste. Il travaille comme d’habitude. » Le trait est le même, seule la palette change. Elle est plus limitée, isolement oblige.
On raconte que Pierre Bonnard était un grand perfectionniste, qu’il s’éternisait sur de petits détails, qu’il avait du mal à finir ses tableaux. André Gilbert confirme : « Ça prenait des mois, parfois, des années. […] Il avait beaucoup de misère à les finir, si bien qu’il s’est fait prendre à quelques reprises dans les musées. Quand le gardien était sorti, il allait retoucher sa peinture avec de la couleur qu’il cachait dans son veston. »
Plusieurs éléments fascinent les historiens de l’art lorsqu’il est question de Bonnard. Son lien privilégié avec Monet, deux fois plus vieux que lui, alors qu’il s’était exilé à Vernon en Normandie puis, des années plus tard, son amitié avec Matisse. Deux grands maîtres qui l’ont influencé, et respectivement, pour son interprétation lyrique de la nature et ses intérieurs ensoleillés aux couleurs saturées.
André Gilbert : « Après la période Nabi, il est un peu à l’écart. Il ne fréquentera pas beaucoup les cubistes, les surréalistes, etc. Les grands mouvements de l’art moderne des années 1910-1920 [n’auront pas vraiment d’impact sur son travail.] En même temps, sa figuration est audacieuse et novatrice pour son époque. »
Pendant près de quatre décennies, les archives et le fond d’atelier de Bonnard sont restés inaccessibles, cadenassés à cause d’une complexe histoire testamentaire. Un problème réglé et une occasion, enfin, de découvrir l’essentiel de l’héritage de ce grand artiste dans un musée québécois.
Du 6 octobre 2016 au 15 janvier 2017 au MNBAQ