Biennale de Montréal : Propulsion imminente
Arts visuels

Biennale de Montréal : Propulsion imminente

Deux ans après sa refonte, la Biennale de Montréal attire plus que jamais les regards internationaux et propulse au grand jour les artistes de demain.

La directrice de la Biennale de Montréal, Sylvie Fortin, n’hésite pas lorsque vient le temps de tirer des leçons et des défis de l’édition 2014 de la BNLMTL. Les grands succès que la BNL a remportés à l’international ont comblé la directrice et l’ont encouragée à continuer sur cette lancée «parce qu’il y a toujours du territoire à conquérir». Autre défi dans sa mire: l’appropriation de la Biennale par le public montréalais. «Je me concentre très fort localement. Je conçois vraiment la plateforme comme on accueille le monde à Montréal.» Enfin, le modèle proposé par la BNLMTL s’avoue résolument différent de celui que l’on retrouve majoritairement dans les musées au Canada. Les coproductions internationales y sont au centre de la démarche, tout en priorisant le choix des projets et des artistes. La BNL opère ainsi un changement de paradigme artistique qui lui sied bien.

D’où l’idée d’aller chercher le commissaire belge Philippe Pirotte, bien connu pour son travail de direction de la Staatliche Hochschule für Bildende Künste Städelschule et de Portikus à Francfort, qui a plongé avec enthousiasme dans le commissariat de la BNLMTL 2016, un premier travail de cette envergure pour celui qui a conçu la biennale à partir des richesses artistiques de Montréal et d’inspirations internationales.

Un thème, des inspirations

Si la BNLMTL 2016 porte un titre – Le Grand Balcon –, elle est aussi traversée par de multiples thèmes et sous-textes qui se renvoient la balle. Trois fortes inspirations ont mené la conception de la Biennale de Montréal. La pièce de Jean Genet Le Balcon, qui invite à réfléchir sur la contestation du pouvoir, le regard, le contrôle, la mise en scène des pouvoirs actuels, se retrouve parmi celles-ci, évoquant une fascination du commissaire – et de Genet – par l’idée de l’incarcération.

Méconnue des Montréalais, la Station-service de Mies van der Rohe, située à L’Île-des-Sœurs, fut elle aussi un point d’ancrage. L’architecte allemand installé à Chicago Ludwig Mies van der Rohe a signé le design de cette station-service à la toute fin de sa carrière, en même temps que la Neue Nationalgalerie de Berlin, et quelques années après, la conception des tours du Westmount Square. La référence à la culture de l’automobile, fortement imprégnée en Amérique du Nord, et au matérialisme qui en découle, s’est alors imposée.

Même son de cloche du côté de l’artiste Cady Noland et son Cart Full of Action, datant de 1986, mais renvoyant à la culture américaine en déclin, à la culture de l’automobile, à la consommation. «C’est aussi un “challenge” aujourd’hui de savoir qu’est-ce que c’est l’art dans sa condition physique, dans le miroir du monde “digital”, raconte Philippe Pirotte. C’est plutôt intéressant de voir ce qu’est cet espace physique, l’expérience matérielle des objets, presque fétichiste.»

Luis Jacob, SPHINX (2015)
Luis Jacob, SPHINX (2015) | Résine epoxy et poussière de marbre | Installation au Allan Gardens Conservatory, Toronto | Photo: avec l’aimable permission de Birch Contemporary, Toronto, et Galerie Max Mayer, Düsseldorf, Allemagne

Cette nouvelle thématique est issue de la troisième inspiration du commissaire, qui sera présentée aussi lors de la Biennale, soit une œuvre du 16e siècle créée par le peintre allemand Lucas Cranach et appartenant à la Winnipeg Art Gallery. Ce portrait de femme révèle une dame portant un lourd collier offrant un côté un brin sadomasochiste à la peinture, selon le commissaire: «La présence de cet objet fait une référence au “bondage”, à la beauté de la violence. Ça renvoie à l’incarcération et à ses paradoxes.»

Enfin, un autre sous-texte s’est dessiné à l’horizon de la BNLMTL: la fiction. «On a opté pour l’art qui se sent à l’aise avec sa condition de fiction.» Ce choix s’inscrit donc dans les liens tissés entre les œuvres et les artistes, d’ici et d’ailleurs, qui ouvrent un dialogue dans un esprit d’écriture de fiction, d’art reflétant le monde à travers la notion de fiction.

C’est aussi par le déploiement de ces sous-textes et ces thématiques multiples que des œuvres d’une dimension plus politique trouvent leur place, dont celles de Tanya Lukin Linklater qui propose une réflexion sur la prima ballerina Maria Tallchief, danseuse étoile de George Balanchine et précurseure issue des Premières Nations, et celle d’Éric Baudelaire, Achy Edgy Harry, «sans doute la pièce la plus politique de la BNL», dont on doit taire les détails par crainte de représailles.

Un rôle à endosser

Alors qu’en 2014 la directrice de la Biennale nous présentait son plan en trois éditions pour la BNL, le second stade actuel semble se déployer selon ce qui était prévu initialement, bien que l’ambition de la directrice et de son équipe pour l’événement soit toujours plus grande. Se démarquer de New York ou Los Angeles par la prise de risque, par la créativité, voilà des objectifs de la trempe de la BNLMTL: «C’est en allant à contre-courant qu’on définit un autre courant.»

Tout cela fait partie d’une volonté de la Biennale de montrer le meilleur de l’art contemporain à Montréal, selon sa directrice: «Notre responsabilité est envers les citoyens qui nous subventionnent pour qu’on excelle en art contemporain.» Cet art actuel, fédérateur dans un monde où les inégalités se multiplient, devient une clé pour la BNLMTL 2016: «Pour moi, c’est ça l’art contemporain: l’art, ça fait en sorte que des gens qui ne se rencontreraient jamais autrement se retrouvent dans le même espace-temps.» Créer des moments de rencontre pour dévoiler un microcosme de cette société, créant un sens, ici et maintenant.

La Biennale de Montréal 2016 se déroulera du 19 octobre 2016 au 15 janvier 2017 au Musée d’art contemporain de Montréal et dans une myriade de lieux montréalais.

www.bnlmtl2016.org