GIFs animés: une forme d’art à part entière
Plus qu’un outil de communication humoristique, le GIF s’impose comme une pratique artistique légitime. État des lieux.
Créé en 1987 par l’ingénieur informatique Steve Wihilte, un Américain qui se verra remettre le Lifetime Achievement Award 26 ans plus tard au gala des Webby, le GIF survit miraculeusement aux progrès technologiques et aux multiples mutations de l’internet. Universellement supporté, tant par les vieux PC jaunis que l’iPhone ou l’appareil Android dernier cri, ce fichier ultra compressé (256 couleurs au lieu de 16,7 millions pour le JPEG) est en quelque sorte l’équivalent contemporain du folioscope. On l’utilise, je ne vous apprends rien, dans nos correspondances écrites comme pour substituer le langage non verbal, éviter les quiproquos, les malaises ou se moquer de l’autre sans trop se mouiller. Qui n’a jamais utilisé les applaudissements tirés de Citizen Kane ou l’extrait de Thriller avec Michael Jackson qui bouffe son popcorn pour ajouter son grain de sel ironique dans un thread Facebook disgracieux?
Or, il n’en a pas toujours été ainsi. À l’ère des sites générés par Geocities ou Dromadaire, pages personnelles souvent dotées de livres d’or, le GIF avait une fonction presque strictement décorative – exception faite, peut-être, du Baby Cha-Cha de 1996 devenu un phénomène de pop culture à lui seul, cité dans[youtube href= »https://www.youtube.com/watch?v=Rx88NMh-YRs »] Ally McBeal[/youtube] et, plus récemment, la chanson Baby Body de Rednext Level en référence à la publicité vintage du[youtube href= »https://www.youtube.com/watch?v=tvM2cEJApqE »] marché aux puces Jean Talon[/youtube] à Québec. Les moins jeunes se souviendront aussi du Hamster Dance, du Dip Da Dee Da Dee Da Doh Doh entonné par ces rongeurs sur les amphétamines et de la chaîne de lettre que nous partageaient nos tantes bien avant les invitations pour jouer à Candy Crush. Un tube d’eurodance viral de 1997 soit bien avant Youtube et les réseaux sociaux, qui avait été composé par le trio canadien The BoomTang Boys. À l’aube du nouveau millénaire et de son bug immanent, le GIF était synonyme de dollz hypersexuées et de bannières « under construction » pivotantes ou clignotantes. Des trésors surannés que les artistes d’aujourd’hui collectionnent pour les placer dans leurs collages néo-kitsch qui titillent la nostalgie des millennials et même de la génération X.
Les pionniers du net art, courant reconnu et sujet de la thèse la PhD en sémiologie des arts Paule Mackrous, auraient commencé à explorer ce médium entre 1995 et 1997. « Olia Lialina a peut-être été l’une des premières artistes à s’y intéresser. Ce qu’elle faisait, c’était comme des autoportraits, elle se définissait comme un modèle de GIFs animés et il y a plein de GIFs d’elle sur son site web. Sinon, il y a eu un GIF de 1997 qui s’appelait Simple Net Art Diagram, une œuvre du duo américain MTAA. Ça a beaucoup été remixé par les artistes du net art après. »
Justement, et là on fait un considérable saut dans le temps, Olia Lialina était de la cohorte d’artistes de ce qui est aujourd’hui considéré comme la première exposition consacrée à cette pratique, un corpus d’œuvres commissariées par Marisa Olson et présentées par Rhizome (un centre d’art new-yorkais) à la RX Gallery de San Francisco en 2006.
The GIF Show mettait aussi en lumière le travail de Cory Arcangel, créateur des mythiques Super Mario Clouds quatre ans avant, et avait généreusement été publicisé sur MySpace. À l’heure des Skyrock et de leurs portraits agrémentés d’une duck face et de la typographie scintillante de l’application Blingee, les illustrateurs, vidéastes ou photographes les plus visionnaires de leur temps avaient déjà anobli à leur manière ce médium déjà perçu comme quétaine par moult disciples du bon goût.
Pascale Mackrous : « Je pense que c’est une pratique qui va laisser une belle trace dans l’histoire de l’art ou, du moins, dans l’histoire du net art. »
Le GIF art, une appellation officieuse en voie d’être consacrée par les historiens de l’art, n’est pas, pour ainsi dire, né de la dernière pluie.
Sculpteurs de l’intangible
Boris Dumesnil-Poulin est un artiste issu du mouvement post-internet, il est candidat à la maîtrise à Concordia et donne des formations pour apprendre les rudiments du GIF à ses collègues dans les centres d’art de Québec (La Chambre Blanche, Folie/Culture) depuis 2013. Il maîtrise merveilleusement son médium qui fait partie intégrante de sa pratique personnelle, des œuvres à l’esthétique lo-fi rythmées par des mouvements saccadés. « Le GIF, c’est très associé à une certaine nostalgie des années 90, le début du web. Je pense que [mon intérêt] vient un peu de là, mais aussi, d’une certaine manière, de l’envie de faire de courtes animations qui sont spontanées et souvent comiques dans la simplicité de ce qu’elles présentent. […] N’importe qui peut s’improviser artiste de GIF parce qu’il suffit de collectionner quelques images qui peuvent provenir d’un film, c’est quelque chose de courant, ou de la vie de tous les jours. C’est vraiment le film à sa plus simple essence. » Le GIF est un acte de démocratisation presque radical de l’art, écartant même toute forme de droits d’auteurs (à moins de coder son nom dans l’œuvre) et permettant à quiconque, moyennant esprit et originalité, de connaître un certain succès en ligne.
Qu’est-ce qui différencie le GIF créé avec une intention artistique de la simple blague? Selon Pascale Mackrous, toutes les créations ont une valeur esthétique, bien que certaines œuvres contemporaines aient le potentiel d’avoir un impact réel dans l’histoire de l’art. « Personnellement, aujourd’hui, j’aurais tendance à donner une certaine légitimité à des GIFs qui vont réfléchir à l’esthétique web, à quelque chose qui est davantage dans le post-internet que dans le divertissement. Je mettrais peut-être plus du côté du design tout ce qui est la belle création visuelle. Moi, la lignée qui m’intéresse c’est les œuvres qui portent une critique. »
Il y a aussi les artistes visuels formés jusqu’au deuxième cycle, et programmés dans les galeries subventionnées, qui utilisent carrément le GIF comme une carte postale, une genre de publicité pour attirer un plus large public vers leurs expositions. Carol-Anne Belzil-Normand, celle à qui La Bande Vidéo offre un solo du 14 janvier au 5 février 2017, est l’une de ceux-là.
Inspirée par le début des années 1990, ses teintes pastel et ses formes géométriques, ce médium pratiquement anachronique pourvoit des contraintes qui l’animent. « Moi [ma spécialité] c’est vraiment plus le cinéma d’animation, mais on pourrait dire que le GIF devient un dérivé de l’image en mouvement. Avec le GIF, tu es limitée dans le nombre de couleurs et d’images, même si j’en ai vu des très longs sur le web, de deux minutes ou trois minutes. C’est possible, mais on est restreints pas le format… »
Vers une monétisation du GIF?
Une figure éminente du GIF art peut-elle tirer des revenus de sa production? La question s’impose de plus en plus et, déjà, la commissaire montréalaise Jennifer Chan s’y frottait en 2013 avec l’événement CrazySexyCool. Une soirée de projections tenue au Royal Phoenix (coin St-Laurent et Bernard) qui offrait des redevances aux artistes sélectionnés – Anthony Antonellis et LaTurbo Avedon étant notamment du nombre.
Boris Dumesnil-Poulin a, pour sa part, organisé sa première vente aux enchères au cours de la même année. Le point culminant de ses ateliers évoqués plus haut, des œuvres vendues à prix doux puisque les plus dispendieuses ont trouvé preneur à 30$. « Comme pour n’importe quelle œuvre, le prix sera fixé en fonction de la notoriété de l’artiste. Ceci dit, c’est sûr qu’on a tendance à garder les montants plus bas justement parce que c’est difficile de garder un GIF vraiment unique à moins de le mettre sur une clé USB protégée par un mot de passe. […] Comme c’est des œuvres en soi, même si elles ne durent que quelques secondes, il n’y a pas vraiment de limite à ces prix-là et ça devient presque excitant de ce dire que ces œuvres-là ne doivent pas se retrouver sur internet sans quoi elles se propageraient comme une traînée de poudre. » Paule Mackrous se montre quant à elle plus sceptique, bien qu’elle avoue avoir peu étudié la question du marché de l’art. « Je pense que, comme pour beaucoup de pratiques actuelles qui sont par exemple éphémères ou in situ, ce sera de l’art qui va majoritairement être subventionné et qui va se retrouver dans les centres d’artistes ou les galeries où on ne vend pas nécessairement l’art, mais où on souhaite offrir une expérience. »
Objet de fouilles archéologiques post-modernes et de créations débridées, le GIF connaît un deuxième âge d’or avec l’inauguration de GIPHY en 2013. Un effet de mode potentiellement passager qui s’éteindra peut-être en même temps que Tumblr, mais un type de fichier qui marquera la scène du post-internet et du néo-kitsch. Le GIF est mort (depuis longtemps), vive le GIF!
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