Condamné, le Centre Duroucher croule lentement sous les bulldozers. Une agonie interminable, une situation délicate qui soulève les passions, une certaine révolte chez moult Basse-Vilains. L’avenir du 680 Raoul-Jobin est incertain et les groupes d’actions citoyennes s’inquiètent d’y voir pousser des condos, ce qui serait le comble d’une gentrification déjà amorcé dans le quartier, une démolition de plus dans ce quartier au patrimoine sous-estimé bien qu’immortalisé par Lemelin avec ses Plouffe.
Comme pour survivre à l’oubli, marquer encore davantage l’imaginaire collectif, l’édifice Art déco sera au cœur de la prochaine exposition de Samuel Breton: St-Centre, Sauveur Durocher. «Ça aborde la perte d’un lieu identitaire. C’est sûr que c’est politique, mais je ne vais pas cogner sur un clou avec un marteau. Ce ne sera pas un gros statement politique pour dire [aux dirigeants municipaux] à quel point ils ont tort de le détruire. Moi, mon souhait, c’est de créer quelque chose qui le sublime de façon poétique. Après, on verra comment ce sera interprété.» Nourri par l’architecture, une source d’inspiration récurrente dans son travail, le dessinateur révélait le meilleur de lui-même avec Le Géant de l’Anglo-Pulp il y a un an et demi à la Bande Vidéo. La pierre angulaire de son catalogue.
L’identité, ce qui est typiquement québécois ou générationnel, est un thème cher pour ce membre de Canadian Bacon qui effleurait aussi une certaine idée du magasinage avec K-Way Papillon (aussi de 2015) et Eskimo de Sorel – une référence à la botte homonyme. «Ce sont des marques identitaires. C’est ce que j’expliquais aux gens au Symposium de Baie-Saint-Paul, cet été: je travaille avec l’objet identitaire. Le K-Way, pour les gens de mon âge, c’est le coupe-vent que tout le monde possédait. C’est même dans 1981 de Ricardo Trogi!» On le devine: la nordicité et le cinéma teintent aussi sa production déjà riche en références. Avec sa série Ouchanka, il présentait la vidéo d’animation Mon oncle Antoine Breton, un clin d’œil à Claude Jutra juxtaposé au chapeau folklorique du pays de Poutine. Un dialogue entre passé et présent, un collage en osmose avec son époque, le mouvement post-internet. «On est une génération qui est surconsciente de tout ce qui s’est fait avant nous. C’est super récent dans l’histoire humaine d’avoir autant d’archives, et là, on n’est plus capables d’en faire abstraction. Tout ce visuel nous construit.»
À main levée
Samuel Breton est un illustrateur de haute voltige qui n’efface jamais, qui couche tout dans le même carnet de croquis qu’il reproduit et revend ensuite à compte d’auteur. «J’y vais à l’encre parce qu’il ne faut pas que ce soit trop droit. Mon Centre Durocher est croche, mais pour moi, c’est ça dessiner. C’est un commitment. Ce n’est pas un geste engagé s’il y a du plomb en dessous.»
Le parcours de Breton, titulaire d’une maîtrise obtenue à l’Université Laval, a d’abord été marqué par le dessin animé à l’ancienne, image par image, un médium dont il a appris les rudiments au Cégep de Rivière-du-Loup. «Mon stage était à la Bande Vidéo, ici, à Québec, et j’ai eu la chance de gagner le prix Vidéaste recherché à l’époque, en 2005, avec mon film Le fumeur. Ç’a été mon espèce de tremplin en vidéo d’animation. J’ai reçu des bourses du Conseil des arts et des lettres pour produire un nouveau film, j’habitais à Trois-Rivières à cette période-là.» Ce après quoi il abandonnera, devant l’intensité de la tâche, la patience extrême que pareille forme d’art nécessite. Dès lors, il s’inscrit au baccalauréat en arts visuels à l’Université Concordia. Naturellement, sans forcer les choses, beaux-arts et vidéo feront corps dans sa pratique. Créateur accompli, prisé des collectionneurs comme en témoignent ses ventes à la dernière FAAQ, Samuel Breton préconise une approche multidisciplinaire, des compétences qui l’amenait récemment à collaborer avec Spira, la Joujouthèque et le Carrefour des enfants de Saint-Malo pour ce qui allait devenir la bougie d’allumage pour St-Centre, Sauveur Durocher. «C’était un projet de médiation culturelle avec des enfants d’âge préscolaire et primaire, de 3 à 8 ans. On les amenait à créer des vidéos d’animation et du bruitage, et ça, c’est vraiment ma tasse de thé. […] J’ai abordé ça comme si j’avais créé une de mes propres œuvres. C’est juste que là, c’est de l’art plus près de la communauté.»
Une vidéo résulte de cette rencontre improbable, une œuvre brute et narrée par des gamins qui trouvera sa place dans la galerie d’Engramme. Un soupçon de douceur dans un dossier qui divise la ville.
Du 14 janvier au 12 février
À Engramme