Pour l’artiste, le conflit est un choix qui ne se conteste pas: «Honnêtement, je ne sais pas comment on peut ne pas s’intéresser au conflit. Pour moi, c’est une évidence. Cette question, si j’étais un artiste bosnien ou libanais, vous ne la poseriez pas. En habitant à Montréal ou à Paris, la guerre, c’est quelque chose de lointain, quelque chose de distant.»
Pour réaliser le film documentaire Hotel Machine au cœur de cette installation, il a scruté les hôtels qui ont fait office de quartiers généraux des journalistes à Beyrouth, Sarajevo, Gaza, Kiev et Belgrade. Emanuel Licha s’intéresse à la aux moyens utilisés pour fabriquer, observer et rapporter les images de conflits. Il a suivi des guides touristiques sur des lieux postconflits pour son œuvre War Tourist (2004), puis il s’est immiscé dans un camp d’entraînement transformé en village irakien et digne des décors hollywoodiens, au milieu du désert californien, pour observer la démarche opératoire de militaires américains dans le cadre du projet Mirages (2010). C’est à ce moment qu’il prend conscience des appareils destinés à accommoder les journalistes et à exercer leur regard de spectateurs.
Une fenêtre sur la guerre
Faute d’identification possible pour un artiste en étude, on l’a pris pour un journaliste dès son arrivée au camp d’entraînement. L’hôtel était le seul bâtiment fonctionnel qui servait à héberger les journalistes de passage ou les visiteurs importants.
«À un moment donné, je me suis assis sur le lit et j’ai regardé la fenêtre. Je me suis amusé à la mesurer – j’ai toujours un mètre sur moi – et j’ai vu que les proportions de cette fenêtre – qui donnait sur les meilleurs lieux du camp – étaient exactement les mêmes qu’un écran de cinéma.» Ce fut l’élément déclencheur pour Hotel Machine. Dans sa version installative au Musée d’art contemporain, le film, élément central, est entouré de cinq postes d’archives qui explorent l’hôtel de guerre comme lieu de proximité, d’observation, de sécurité, de communication et, finalement, comme lieu de convergence où défilent tous les protagonistes des conflits.
Au rythme de l’art
Dans un voyage de recherche en Syrie, il est arrivé trop tard et a constaté que la ville qui, auparavant, fourmillait de journalistes s’était vidée complètement en quelques jours: «J’ai compris que ce serait la bonne temporalité pour le film. Et que cette idée d’arriver trop tard, qui est le lot des artistes, pouvait être un ressort pour le film.» Emanuel Licha a décidé d’en tirer profit et d’en faire la position éthique du film, soit celle de «prendre son temps» et de se rendre dans les hôtels après les conflits.
Il a mis près de six ans pour réaliser cette œuvre qu’il considère comme particulièrement marquante dans son parcours. «Hotel Machine est un projet qui a nécessité beaucoup de recherche et c’est peut-être celui qui m’a permis le plus de mettre en place des collaborations que je souhaitais pour mon travail à l’intérieur de la production, mais aussi entre disciplines.»
Destiné à faire des études au doctorat en géographie, Emanuel Licha a eu la bonne idée de prendre une pause pour entamer une formation en arts visuels, il y a de cela plusieurs années. Ce virage fut déterminant: «C’était de l’intuition, mais j’ai eu l’impression qu’il y avait quelque chose à faire là et je n’ai pas poursuivi mes études en géographie et en anthropologie. J’ai vu que ce rapport entre histoire, géographie, sciences politiques et art n’était pas incompatible du tout.
Et de toute évidence, il ne s’est pas trompé.
Au Musée d’art contemporain de Montréal
Du 17 février au 14 mai 2017