Arts visuels

Les Impatients : Prescription artistique

Depuis un quart de siècle, ceux qui ne fittent nulle part sont reçus dans les ateliers de l’organisme Les Impatients comme des artistes, non comme des malades. Et leur art brut côtoie des Chagall, des Riopelle et des Marc Séguin.

Tout a commencé dans un sous-sol de Pointe-aux-Trembles. «Ma mère [Lorraine Palardy] avait une galerie et était présidente de l’Association des galeries d’art contemporain de Montréal. En collaboration avec la Fondation des maladies mentales, elle a fait un projet-pilote d’atelier de création à l’Hôpital Louis-H.-Lafontaine. Deux jours après la fin de l’atelier, une adjointe a appelé ma mère: “Ils font la file devant le local…” Ma mère a fondé Les Impatients parce qu’elle se disait que c’était nécessaire», raconte Frédéric Palardy, directeur général de l’organisme depuis 3 ans. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, le modeste atelier s’est transformé en un organisme unique offrant 60 ateliers à plus de 600 participants par semaine, avec 11 points de service dans la région de Montréal et aux alentours, associé à 6 hôpitaux, 2 galeries et 1 musée. Tout ça, gratuitement.

Tout sauf des malades

On pourrait croire que le nom «Les Impatients» a été donné pour rappeler ces patients qui piaffaient devant le local en attente d’un autre atelier. Mais la vision de Lorraine Palardy était beaucoup plus poétique: «C’est à la fois une façon de voir la personne comme n’étant pas une patiente, au sens médical, et comme étant impatiente de guérir, d’arrêter de souffrir. Et c’est une référence à l’impatiente, une fleur qui pousse bien à l’ombre. C’est un nom qui est encore porteur après 25 ans», s’émeut le directeur général.

Collectif: Anne-Marie, Cloé, Noah et Romane Sans titre, 2016 Photographie lightpainting 32 cm x 40 cm
Collectif: Anne-Marie, Cloé, Noah et Romane
Sans titre, 2016
Photographie lightpainting
32 cm x 40 cm

Bien que son organisme utilise l’art pour venir en aide aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, Frédéric Palardy se défend bien de faire de l’art-thérapie. «Le critère principal pour choisir nos animateurs, c’est qu’ils doivent être d’abord des artistes. Oui, nous travaillons avec des art-thérapeutes, mais on fait tout l’inverse de l’art-thérapie. Quand les participants arrivent dans un atelier, ils viennent créer, tout simplement. Pas de thème, pas de “aujourd’hui, on dessine la colère”! C’est un exemple un peu bancal, mais c’est ça. Le bien-être arrive dans la création, les rencontres, la diffusion des œuvres. On fait ce qu’on appelle dans le système de la santé du “rétablissement”: pour certains, ça veut dire arriver à se trouver une job; pour d’autres, juste mettre un pied devant l’autre.»

Gabor Szilasi Dorval 1959, 1959 Photographie argentique sur papier argentique Impression 2016 40 cm x 50 cm
Gabor Szilasi
Dorval 1959, 1959
Photographie argentique sur papier argentique
Impression 2016
40 cm x 50 cm

Malgré les cas lourds, abandonnés du système de santé, qui arrivent parfois aux ateliers des Impatients, une règle demeure: ne pas les recevoir comme des patients. Certains participants sont référés par leur psychiatre, comme une sorte de prescription artistique de la dernière chance. «On ne sait plus quoi en faire… on les envoie aux Impatients!» L’organisme n’a pas la recette miracle, certes, mais les statistiques prouvent qu’il y a de l’espoir même pour les plus désespérés: «87% des gens qui ont fréquenté nos ateliers disent que leur état de santé s’est amélioré et 63% disent avoir évité une hospitalisation grâce à nous. C’est énorme!» Bipolarité, schizophrénie, psychose ou épisode dépressif: aucun cas n’est trop léger ou trop lourd pour Les Impatients, et aucune question n’est posée sur leur maladie. Aucune durée maximale de «traitement créatif» non plus.

Sylvie Guévremont La belle Rachel intemporelle, 2016 Collage sur bois 30,5 cm x 30,5 cm
Sylvie Guévremont
La belle Rachel intemporelle, 2016
Collage sur bois
30,5 cm x 30,5 cm

«Ici, il n’y a aucune pression de laisser la place au prochain. Y a des participants pour qui c’est plus long, d’autres moins, et ça fait partie de la magie. On a une base de vieux de la vieille qui sont là depuis des années et ils apaisent les nouveaux! Il n’y a pas de date de fin à nos ateliers, le roulement doit se faire naturellement. Je ne me mets pas la tête dans le sable, tout le monde est dans le rendement en 2017, mais je me bats contre ça», expose Frédéric Palardy.

Yannick Pouliot Du rien et des vœux, 2016 Maquette pour concours d’œuvre d’art public (Place Jean-Béliveau de l’Amphithéâtre Québec) Résine, impression 3D 67 cm x 41 cm x 42 cm
Yannick Pouliot
Du rien et des vœux, 2016
Maquette pour concours d’œuvre d’art public (Place Jean-Béliveau de l’Amphithéâtre Québec)
Résine, impression 3D
67 cm x 41 cm x 42 cm

Tout sauf du macramé

Pour continuer de financer les ateliers, en plus de l’apport précieux de quelques mécènes privés, Les Impatients comptent sur l’encan annuel où sont mises aux enchères des œuvres d’artistes établis et d’artistes impatients, côte à côte. «Ce que nos participants font, on le considère comme de l’art. On ne donne pas d’atelier de macramé! On possède maintenant la plus grande collection d’art brut au Canada. On la conserve de façon muséale, pas dans des boîtes de carton toutes croches!» s’emballe le directeur général. Et l’accueil du milieu artistique lui donne raison: c’est le Musée d’art contemporain de Montréal qui sera l’hôte du 19e encan Parle-moi d’amour, en plus d’exposer gratuitement plus de 300 œuvres.

Parle-moi d'amour, 2016, Photo : Jean-Michael Seminaro
Parle-moi d’amour, 2016, Photo : Jean-Michael Seminaro

À cette exposition-encan, tout le monde est traité sur un pied d’égalité. «À côté d’un Chagall, tu trouves un impatient, pis à côté un Stikki Peaches. C’est un heureux mélange! Toutes les œuvres partent au même prix. C’est traité de façon très professionnelle, on prend soin des œuvres et tous les profits reviennent aux Impatients. C’est impressionnant, il y a des artistes qui ont du mal à payer leur encadrement, mais qui donnent tout à l’organisme. Et un collectionneur nous a donné un Chagall. J’en reviens pas! On est privilégiés avec un grand P.» À la fin de l’exposition-encan, une trentaine d’œuvres sont vendues à la criée, responsabilité assumée cette année par Patrick Masbourian.

Marc Séguin Samedi soir 2 lunes, 2016 Huile sur toile 41 cm x 51 cm
Marc Séguin
Samedi soir 2 lunes, 2016
Huile sur toile
41 cm x 51 cm

L’encan ne sert pas qu’à financer les activités de l’organisme: c’est aussi, en quelque sorte, la suite logique des ateliers créatifs. «Tu peux t’imaginer: t’es pas un artiste, t’as des problèmes de santé mentale, ta famille est tannée de voir tes dessins, elle ne sait plus où les mettre, pis du jour au lendemain t’es exposé au MAC avec le who’s who de l’art contemporain!» se réjouit Frédéric Palardy. Et la fierté de voir une mise à côté de son œuvre fait aussi son chemin dans le processus de rétablissement. «Que quelqu’un soit prêt à dépenser pour acheter ce qu’ils font donne aux Impatients le sentiment de contribuer, au lieu d’être un fardeau pour la société.»

Exposition-encan Parle-moi d’amour
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 16 au 29 mars 2017
impatients.ca