Patrick Doyon : Le DJ du dessin
Arts visuels

Patrick Doyon : Le DJ du dessin

Avec son installation vidéo comme un grognement GRRR (Georges Rémi, Relu et Remixé), l’artiste Patrick Doyon s’amuse avec un monstre sacré de la bande dessinée. On n’aura jamais vu Tintin d’aussi proche.

Pour les non-tintinologues (oui, c’est le mot), Georges Rémi, c’est Hergé. Il est triplement père: du héros Tintin, mais aussi de la bande dessinée européenne et de la «ligne claire», une conception moderne du dessin qui isole les couleurs par des traits noirs d’épaisseur constante. Et c’est justement cette ligne claire qui fascine l’illustrateur Patrick Doyon. «Il y a une certaine filiation graphique entre mon travail en animation et illustration et le style d’Hergé. Les zones de couleurs bien fermées, délimitées… il y a une attirance graphique, mais ça me touche aussi.»

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Plus 17 que «7 à 77 ans»

Patrick s’est intéressé à Tintin sur le tard. «On a toujours eu les albums de Tintin à la maison, sauf qu’enfant, je sautais les pages quand il y avait trop de texte!» s’amuse-t-il à raconter. «Je les ai lus pour vrai vers 18 ou 19 ans.» Ce n’est pas une passion dévorante pour l’œuvre d’Hergé qui anime l’artiste et l’a nourri dans l’idéation, plutôt un aspect pratique côté animation. «Le nombre d’albums est limité et il y a une certaine cohésion graphique entre les albums. C’est un corpus avec du matériel assez semblable, le premier album et le dernier comportent assez peu de différences côté dessin.» En effet, les neuf premiers albums, d’abord publiés en noir et blanc, ont été redessinés en couleurs par Hergé, harmonisant leur style avec les albums subséquents.

Avec les 23 albums de Tintin (sans compter Tintin et l’Alph-art, inachevé), un ordinateur et un scanneur géant, l’artiste s’applique à repérer des éléments graphiques bien précis. «Mon projet, c’est de cibler des éléments, de façon macroscopique, puis d’en tirer une animation», expose-t-il. «Les étoiles, par exemple, représentent la douleur, la souffrance. Les traits de vitesse qui émanent de la tête signifient la surprise, la douleur; en spirale, c’est la folie. Ce sont des codes de la BD qui passent parfois inaperçus. Le but n’est pas forcément que l’on reconnaisse que c’est Tintin.»

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Mille sabords, quelle violence!

GRRR, fruit d’une résidence de création à La Bande Vidéo, c’est un Hergé remixé, mais c’est aussi le grognement, «celui de Milou!», une onomatopée qui exprime l’agressivité et dont le choix d’en coiffer l’expo n’est pas anodin. «Je souligne une violence sous-jacente dans les albums de Tintin. Enfant, on ne s’en rend pas compte. Une fois adulte, quand on s’y attarde, ça surprend!» L’installation de Patrick, avec ses trois animations de détails en noir et blanc (étoiles, traits de vitesse ou de folie, main tenant un revolver), prend même un certain visage politique. «J’avais déjà choisi mes éléments graphiques et c’est après-coup que je me suis rendu compte qu’ils soulignaient tous la souffrance, la violence, la folie. Il y a peut-être un écho actuel à ça, aux attentats en Belgique, en France et à Québec, un côté un peu politique aussi.» D’ailleurs, l’album préféré de Patrick, L’étoile mystérieuse, a été publié alors que la Belgique était sous occupation allemande et présente un aspect apocalyptique traduisant la peur d’Hergé face au contexte politique de l’époque. Coïncidence?

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Le bonheur d’un voleur de sandwichs

Si, en 1942, Hergé s’inquiétait de l’avenir, en 2017, son «remixeur» aurait tort de faire de même. C’est que Patrick Doyon, depuis quelques années, cumule les honneurs dans des disciplines variées. Son court métrage Dimanche/Sunday (2011) s’est promené à travers les festivals de cinéma les plus prestigieux de la planète, raflant au passage un Jutra et une nomination aux Oscars pour le meilleur court métrage d’animation (rien de moins). Son premier livre jeunesse, Le voleur de sandwichs, dont le texte est signé André Marois, a remporté un Prix du Gouverneur général en 2015. Diplômé en design graphique de l’Université de Montréal, Patrick alterne entre l’animation et l’illustration. Il illustre autant des pupitres à vocation humanitaire pensés par La Pastèque qu’un calendrier scout; il anime une boucle publicitaire à Vrak et, le lendemain, un court métrage sur un jam entre Peaches et Chilly Gonzales. Même la bière n’échappe pas à son talent, puisqu’il est derrière les étiquettes de celles de la Microbrasserie du Lac Saint-Jean.

GRRR
Patrick Doyon
Jusqu’au 30 avril à La Bande Vidéo