Dominique Pétrin : inventer la réalité
Autrefois chanteuse du groupe rock expérimental Les Georges Leningrad et artiste visuelle autodidacte, à la fois intuitive et dotée d’une lucidité déconcertante sur sa pratique et son parcours, Dominique Pétrin voit sa carrière internationale s’ouvrir sur de nouvelles perspectives.
La créatrice qui se spécialise en sérigraphie a déjà habillé la station Beaudry à Montréal et un piano pour un concert de Pierre Lapointe en plus de collaborer en danse avec Antonija Livingstone, Jennifer Lacey et Stephen Thompson à Vienne et en France. Récemment, l’artiste engagé et anonyme Banksy lui a demandé de décorer une chambre du nouvel hôtel Walled Off à Bethléem sous le thème d’une colonie britannique en ruine, un mandat certainement déterminant pour sa carrière. Dominique Pétrin a passé deux mois à imprimer des éléments de consommation de masse comme une caméra de surveillance, une machine à espresso, un livre de yoga et même une tasse où on peut lire «shit happens».
Avec l’artiste palestinienne Sami Musa, elle est la seule à avoir été invitée par Banksy qui a signé les sept autres chambres de l’hôtel dont la vue donne sur le mur de la séparation israélien. À peine revenue de son séjour en terre sainte, Dominique Pétrin a été inondée par une pluie médiatique. Pour l’artiste qui dort souvent dans son petit atelier ensoleillé du quartier Mile-Ex, trouver un moment pour des entrevues était une tâche complexe. «Tous les gens qui me connaissent – et ceux que j’ai perdus – le savent, il y a une chose dans ma vie et c’est ce que je fais. Je suis inaccessible. C’est un peu plate, c’est un sacrifice. Ma vie personnelle en souffre beaucoup […]. Il n’y a aucune magie. J’ai travaillé toute ma vie. J’ai tout donné.»
Dominique Pétrin aime les défis. On pourrait facilement penser qu’elle a grandi dans une famille d’artistes ou qu’un parcours scolaire difficile l’a guidée vers cette voix qu’on ne choisit pas toujours. «Un jour, ma mère m’a fait un commentaire – sans mauvaises intentions –, j’étais arrivée avec mon bulletin et ma trâlée de notes à 99%. J’attendais des félicitations, mais elle m’a dit: “Ben t’as pas de mérite, c’est trop facile pour toi.” Ça m’a complètement traumatisée. Inconsciemment, ça m’a poussée vers le chemin le plus difficile dans la vie, celui où tu en arraches le plus – les arts!» Un choix de carrière qu’elle explique ainsi avec un éclat de rire, parce que l’artiste ne se prend pas trop au sérieux, autant dans la vie que dans sa pratique.
D’abord intéressée par le fanzine et la bande dessinée, Dominique Pétrin s’est un jour tournée vers la sérigraphie par désir de renouer avec la couleur, ce qui a transformé sa vie. C’est aussi la possibilité de faire de «l’art abordable pour tout le monde» qui l’a attirée vers ce médium. «Si je veux vivre dans le luxe et avoir un mur de marbre, je vais me l’imprimer.» C’est lorsqu’elle travaillait pour Publicité Sauvage qu’elle a rencontré ses acolytes avec qui elle a fondé Les Georges Leningrad en 2000, groupe culte connu pour ses performances éclatées et expérimentales. «La musique n’était pas si pire, mais c’était surtout l’énergie qu’on dégageait qui faisait notre force. J’étais une chanteuse absolument pourrie, mais j’avais vraiment une bonne présence sur scène.» Cette envie de faire vivre une expérience immersive au public se retrouve aujourd’hui dans son approche visuelle.
Elle expose la première fois à La Centrale Galerie Powerhouse en 2009 où elle s’inspire du collectif The Hairy Who à Chicago afin de défier le cube blanc. En tapissant les murs d’un papier qu’elle a créé, Dominique Pétrin réalise alors que son travail doit s’orienter vers l’installation. «Graduellement, j’ai inclus le plancher et mes environnements sont devenus complètement immersifs. Cela crée un engagement physique qui joue avec la perception du public. J’aime intégrer des références à l’histoire de l’ornementation comme des fresques gréco-romaines. Et en même temps, on retrouve beaucoup d’éléments géométriques qui rappellent les jeux vidéo des années 1980 dans mes œuvres.»
Le fait de combiner des objets nobles avec ceux perçus comme étant pauvres lui permet de poser un regard critique sur le concept de représentation dans notre société. «Quand on construit nos profils Instagram, Tinder ou Facebook, on est dans la représentation, mais en même temps, il y a une part de réalité. Ces profils sont une sorte de fenêtre tout comme l’interface internet; quand on navigue en ligne, on ouvre une fenêtre qui s’ouvre sur une autre, c’est une forme d’architecture. Donc j’intègre l’architecture du web avec celle d’un lieu physique, ce qui me permet de créer des environnements qui interpellent notre perception d’un espace autant physique qu’imaginaire.» Comment se sentirait-on dans les «internets»? Qu’est-ce qu’une expérience physique ou virtuelle? «C’est comme une expérience impossible. Mes installations se trouvent dans ces zones-là.» C’est à se demander à quoi ressemble son appartement: «Ha! ha! Mon appart est tapissé! J’ai fait tous mes premiers tests là!»
Dominique Pétrin a rassemblé des œuvres récentes pour le projet I Just Wished Martha Stewart Told Me to Chill Down, un teaser de sa prochaine exposition qui sera présentée dans la grande salle de la Galerie Antoine Ertaskiran où elle s’intéresse entre autres à l’angoisse existentielle issue de l’utilisation des médias sociaux. «Les textes de chaque tableau rappellent toujours le format des messages textes. L’une des œuvres qui s’intitulent Just Chill est une fenêtre très ornementée avec un beau bouquet de fleurs à côté d’une pompe à asthme. Une autre que j’ai intitulée What Would Be Our Future Together If There is Any? évoque une angoisse personnelle associée aux rencontres Tinder.»
Avant de retourner au M.A.I. pour la préparation de la pièce de danse Make Banana Cry où elle a créé une série d’objets qui s’inspirent de l’exotisme asiatique, Dominique Pétrin rapatrie ses deux petits chiens, Hermine et Mouchette, visiblement habitués à sa vie agitée. «Ce sont mes mascottes, mes p’tits compagnons.» Ce qui l’attend lui est encore inconnu, mais les questionnements professionnels sont peu pertinents pour cette artiste dont les projets ne cessent de se présenter à elle depuis 2009. À suivre…
I just wished Martha Stewart told me to chill down, like real down
Galerie Antoine Ertaskiran (Montréal)
Jusqu’au 6 mai 2017
À perte de vue (AXENÉO7)
La Fonderie (Gatineau)
Du 28 juin au 30 août 2017
Get rid of the fabric softener
Galerie Antoine Ertaskiran (Montréal)
Du 30 août au 30 septembre