«Ce n’était pas un concours; c’était un conte de fées», a répondu Moshe Safdie quand, à la fin de sa conférence donnée à l’occasion du vernissage de l’exposition, une personne dans l’auditoire lui demandait comment il avait remporté le «concours» pour pouvoir construire Habitat 67.
L’histoire d’Habitat, en effet, est proprement incroyable. Moshe Safdie avait élaboré le concept de base d’Habitat dans le cadre de son projet de maîtrise, à l’Université McGill. Puis, ses études terminées, il était parti travailler, à Philadelphie, pour le grand architecte Louis Kahn. Mais, environ un an plus tard, Safdie est recruté par le responsable du plan directeur d’Expo 67, l’urbaniste et architecte Sandy van Ginkel, qu’il avait côtoyé à McGill. Safdie accepte, en posant ses conditions: notamment, il doit avoir la possibilité de concrétiser son projet. Ce qu’il arrivera à faire, après bien des revers et des rebondissements… Entre-temps d’ailleurs, van Ginkel aura démissionné de son poste à Expo; et Safdie va finir par abandonner ses fonctions au plan directeur, pour se consacrer exclusivement à Habitat.
Habitat et Expo 67
Moshe Safdie aura supervisé la construction d’Habitat 67, édifice connu et reconnu aujourd’hui un peu partout dans le monde, alors qu’il n’avait que 25 ans! «Serait-ce possible aujourd’hui? Sans doute pas. Les politiciens et les fonctionnaires ne prennent plus ce genre de risque», déclarait Safdie lors d’une visite de presse le 1er juin, jour de l’ouverture de l’exposition. Mais en fait, ajoutait-il, il en va de même pour l’événement unique qu’a été Expo 67 dans son entièreté: même les expositions universelles tenues par la suite étaient des opérations davantage commerciales, et qui n’avaient pas le même caractère utopique, idéaliste et empreint d’optimisme.
Habitat 67 était bel et bien un pavillon thématique d’Expo 67, consacré à l’habitation de l’avenir, et dont une partie des appartements se visitaient. En même temps, Habitat était bel et bien habité dès ce moment: une partie des unités est louée à des visiteurs d’Expo 67 qui veulent y séjourner, et quelques unités logent des dignitaires de passage et des hauts responsables. Mais sa construction a connu pratiquement autant de rebondissements que ceux qu’a connus l’ensemble d’Expo. Entre autres, l’Habitat 67 qu’on connaît aujourd’hui ne représente qu’une fraction du complexe initialement prévu, et dont on peut voir la maquette à l’exposition au Centre de Design de l’UQAM. Le lieu devait comporter plus de 1000 logements (au lieu des quelque 150 de l’édifice actuel) et comprendre des commerces et divers services, comme des écoles, des églises, une bibliothèque…
La vision derrière Habitat
En réduisant le projet pour couper les coûts, on a aussi amputé Habitat 67 d’un des aspects fondamentaux de sa vision initiale: offrir aux gens un environnement urbain mixte, qui offre aux occupants des services à proximité, sans la nécessité d’avoir recours à l’automobile. Mais un autre aspect mis de l’avant par Habitat, lui, est demeuré: offrir aux gens, dans un environnement urbain dense, les mêmes avantages qu’ils vont autrement chercher en banlieue, à savoir une maison individuelle et un jardin. Ce sont les caractéristiques des logements d’Habitat: tout le monde a un point de vue vers l’extérieur, sur au moins trois côtés, sans avoir la vue obstruée par un voisin, et tout le monde a une terrasse, un jardin.
Safdie développe cette vision lors d’un voyage d’étude qu’il fait dès la fin des années 1950 à travers l’Amérique du Nord, dans des villes comme Chicago, Philadelphie, Washington et Toronto: c’est là qu’il observe les banlieues qui commencent déjà à s’étendre, et qu’il prend conscience des problèmes liés à l’étalement urbain. Comment permettre aux gens d’avoir leur cour et leur maison – ce pour quoi ils s’établissent en banlieue – tout en densifiant l’habitation? C’est la réponse qu’il commence à chercher, à travers son projet de maîtrise, qui deviendra Habitat.
On n’arrivera pas, toutefois, à répéter l’expérience d’Habitat. Divers projets dans ce sens, entre autres à New York, Porto Rico et Jérusalem, n’arriveront pas à terme. L’exposition au Centre de design de l’UQAM, intitulée Habitat 67: vers l’avenir, offre d’ailleurs un aperçu de ces tentatives avortées, de même que de diverses recherches élaborées récemment par le bureau de Safdie pour réanimer le concept. On découvre aussi quelques œuvres récentes de Moshe Safdie, dont les réalisations, un peu partout dans le monde, ont vite débordé du seul cadre de l’habitation. Car Safdie – qui, à bientôt 79 ans, est toujours très actif – a atteint, sur la scène internationale, une renommée dont on connaît mal l’ampleur ici.
Habitat 67 aujourd’hui
Aujourd’hui, Habitat 67 fait partie des emblèmes de Montréal que les visiteurs de l’extérieur peuvent en général identifier spontanément, avec le Stade olympique, le mont Royal (et sa croix), la Biosphère, et le pont Jacques-Cartier. C’est aussi, quand on y pense, la seule construction marquante liée à Expo 67 à être demeurée vraiment intacte: l’enveloppe de la Biosphère a brûlé en 1976 (et l’intérieur, forcément, n’est plus le même que lors de l’Expo); les pavillons de la France et du Québec sont devenus le Casino… Mais Habitat 67, 50 ans plus tard, est toujours là, et toujours habité, comme il l’était lors de l’Expo.
Malgré tout cela, Habitat demeure singulièrement méconnu, y compris des Montréalais. Peut-être à cause de son caractère privé, et de son statut «immobilier»… «Habitat, c’est un peu comme un jardin secret, qu’on entraperçoit de la route, sans pouvoir franchir la clôture», explique Julie Bélanger, l’instigatrice et l’organisatrice des visites qui se déroulent, à partir de ce printemps, à Habitat 67. «Cela le rend déjà différent d’autres édifices emblématiques, comme le Stade, la Biosphère ou l’oratoire Saint-Joseph, auxquels les gens ont accès.»
Habitat, dont les logements étaient au départ offerts en location (par la Société canadienne d’hypothèque et de logement), est aujourd’hui une société en commandite, dont les résidents, en acquérant un appartement, deviennent actionnaires. Et puis, c’était inévitable, Habitat 67, à cause du caractère unique du bâtiment, est devenu une adresse recherchée… et donc chère. C’est un des nombreux paradoxes liés à cet édifice à nul autre pareil.
Redécouverte
Les 50 ans d’Habitat vont peut-être, finalement, contribuer à sa redécouverte. L’exposition tenue à l’UQAM cet été, la première à être ainsi consacrée à Habitat 67, permet de mieux comprendre l’édifice, son histoire et sa portée, de même que la vision et l’œuvre de Moshe Safdie. Ceci, dans un contexte où, à travers diverses expositions qui se tiennent à Montréal et des contenus comme le documentaire Expo 67: Mission impossible, on redécouvre toute l’histoire d’Expo 67.
Les visites guidées d’Habitat 67 qui sont offertes pour la première fois contribueront aussi, sans doute, à changer les choses. «Avec les 50 ans, c’est la première fois qu’Expo 67 prend vraiment sa place dans l’histoire, constate Julie Bélanger. Et Habitat y a vraiment sa part: on a maintenant assez de recul pour considérer son rôle et son importance.»
Exposition
Habitat 67 vers l’avenir/The Shape of Things to Come
Au Centre de design de l’UQAM, 1440, rue Sanguinet, jusqu’au 13 août
Horaire et informations: centrededesign.com
Visites à Habitat 67
Informations et réservations: habitat67.org