Le projet en est un d’envergure, de longue haleine surtout. Dans les cartons de la Galerie Clark et de l’Œil de Poisson depuis une demi-décennie, ou presque, Truck Stop convie tout le monde – absolument tout le monde – à une gigantesque exposition à ciel ouvert. Le genre de manifestation artistique – et elles sont rares – qui risque de marquer l’imaginaire collectif.
Normalement si banal et soporifique, le trajet QC-MTL sera surtout vivifié par des installations géantes, une œuvre audio et quelques performances. «De la poésie pour char», littéralement, et pour reprendre les mots de la responsable des communications Jeanne Couture qui frétille devant l’aboutissement imminent de ce qui a d’abord passé pour un fantasme irréalisable. C’est qu’il fallait d’abord convaincre le ministère des Transports, et ça, ce n’était pas gagné d’avance. «On avait besoin de leur autorisation parce qu’on vient s’installer sur leurs sites. Il y a quand même 15 œuvres sur le bord de la route […], il ne faut pas que ce soit trop brillant et que ça puisse distraire les automobilistes. Il y a tout le Code de la route qui rentre en ligne de compte.»
Sécurité oblige, la majorité des sculptures à grande échelle seront plantées aux abords des sorties. L’amoncellement de guirlandes miroitantes de Camille Bernard-Gravel (Zénith) en est, idem pour le concert audiovisuel contrôlé à distance par le duo psychédélique Organ Mood. Du street art de campagne, en quelque sorte, dans la petite bourgade de Sainte-Eulalie. «C’est une composition lumineuse, de l’éclairage urbain avec des lampadaires. Ça va être avec des acétates, quand même. […] Quand on va le voir de loin, de l’autoroute, on va penser que le gars de la ferme est complètement parti sur une chire! C’est ça qui est le fun avec Truck Stop: ça va susciter un étonnement constant.»
Tu aimeras ce que tu as tué
L’abandon est un thème récurrent de ce corpus même si, au départ, ce n’était pas une consigne des deux centres artistes. N’empêche, Truck Stop se veut, par la force des choses, une célébration du patrimoine bâti qui se désagrège sous les regards passifs, de tous ces édifices qu’on ne protège pas, comme l’Extra-Terrasse de Saint-Simon-de-Bagot – casse-croûte circulaire opéré par des robots, un dinner à l’américaine meublé de banquettes rose bonbon. Le kitsch incarné sis dans un amas de bâtiments hors du commun: une croix surdimensionnée, une pyramide mystique, un aérodium. Le laboratoire de l’inventeur québécois Jean St-Germain, décédé en septembre dernier, génialissime personnage qui a vécu assez longtemps pour voir son œuvre colossale réduite en cendres.
La mémoire des lieux s’inscrit au centre de la pratique de Gagnon-Forest, c’est un moteur pour leur création, une trame de fond. Inutile d’écrire qu’on ne se surprend pas d’un pareil choix de sujet pour leur installation photographique immersive. «[Le parc d’attractions de St-Germain] est, si on veut, l’archétype de ces lieux-là qui sont mal aimés, qui sont abandonnés, explique Mathilde Forest. Dans notre travail, on tente de mettre de l’avant une réflexion sur ce qu’on appelle le patrimoine alternatif, de sortir de la définition classique d’un bâtiment patrimonial.» Un titre qui ne devrait pas être exclusivement réservé aux maisons de la Nouvelle-France, aux églises, aux attractions touristiques dans le Vieux-Québec.
Cette reconnaissance des acquis, de la beauté du «déjà construit», commence avec l’occupation de toutes les haltes routières traditionnelles parsemées sur le parcours. «Nous, on les trouve très belles, d’ailleurs!» Un choix qui va au-delà de l’esthétique, précisons-le, pour Jeanne Couture et son équipe. «Celles qu’ils construisent maintenant, avec un Valentine dedans, sont tellement laides! On dirait des petits centres d’achats. Nous, on a envie de mettre les vieilles de l’avant, comme pour souligner qu’une halte avec un parc, comme ça, c’est magnifique.» Mathieu Latulippe, artiste invité, abonde dans le même sens avec Interzone 3, un faux projet de relais routier démesuré, avec une tour à condos et des manèges, présenté sur une pancarte fort réaliste qui reprend les codes esthétiques des promoteurs immobiliers. Une critique de la culture think big s’ti.
17 juin au 19 août
Sur l’autoroute 20