Planifier une exposition de l’artiste d’origine danoise n’est pas un exercice facile. Cela aura pris plusieurs années au directeur général et conservateur en chef du Musée d’art contemporain, John Zeppetelli, pour concrétiser cette démarche. Olafur Eliasson est un de ces artistes marquants de l’histoire de l’art actuel. Ses œuvres redéfinissent notre relation au temps et à l’espace à travers la lumière et le mouvement. Elles jouent d’illusion, de beauté, elles invitent souvent à la contemplation et convient son spectateur à devenir «cocréateur». Cet intérêt que l’artiste cultive pour l’humain et la volonté d’en faire le point central d’une œuvre a pris ses racines pendant ses études en art à l’Académie royale des arts du Danemark: «Je voulais détourner l’attention de l’objet dans une œuvre et lui retirer son rôle dominant en incluant le spectateur, tout en faisant appel à ses sens.» C’est pour cette raison que l’artiste s’est tourné vers la psychologie et la neuroscience. Pour celui qui est davantage intéressé par un «auditoire éclectique et non élitiste», il n’est pas étonnant que ce soient les individus qui éveillent sa curiosité au moment d’amorcer une création: «Je commence très souvent en pensant aux gens à qui l’œuvre s’adresse. À travers mon approche, je m’intéresse à l’idée d’écouter les gens plutôt que de leur dire quoi faire. C’est plutôt l’œuvre qui écoute et demande à son public ce qu’il veut faire.»
Au cours des dernières années, la nature a pris une place importante dans son travail, en nourrissant entre autres son imaginaire grâce aux effets qu’elle suscite. «Lorsque l’expérience est devenue l’élément conducteur de ma pratique, observer des phénomènes naturels comme l’eau, le feu, la température et le climat allait de soi. À partir de ces explorations, je me suis davantage intéressé au rôle de la nature d’un point de vue philosophique.» Par métaphore, l’œuvre d’Olafur Eliasson emprunte à la nature sa richesse et sa simplicité pour émerveiller et explorer de nouveaux points de vue. Il stimule ainsi les sens du spectateur et l’incite à réfléchir sur la perception qu’il a de lui-même et de son environnement. «C’est génial de trouver des espaces où l’on peut aiguiser et exercer nos sens. Des milieux naturels sont certainement des endroits qui nous permettent de revisiter nos sensations en lien avec le monde qui nous entoure. En ville, l’horizon n’est que rarement visible ou presque jamais, alors que notre regard dans la nature peut se poser sur des paysages à 8 ou 9 kilomètres. Il est possible d’utiliser la nature pour rééquilibrer nos sens, ou encore nous engager dans une pratique contemplative ou des exercices d’attention.»
Son approche pragmatique à la création lui permet de passer «de l’idée à l’action». Celle-ci prend d’abord forme à travers un sketch, puis par de multiples itérations en impliquant le savoir-faire de spécialistes en sciences et en ingénierie. Malgré la complexité de la démarche de l’artiste, son travail fait preuve d’un minimalisme déconcertant. Ses créations ont le pouvoir de surprendre celui qui s’y intéresse sans cacher les secrets de son illusion.
Une des œuvres présentées dans le cadre de l’exposition du MAC est d’ailleurs représentative de cette approche récurrente chez l’artiste, soit de laisser à vue un dispositif réalisé à partir d’objets communs qui offre une nouvelle perspective de la réalité telle qu’on la conçoit. Big Bang Fountain (2014) explore le phénomène du temps et de l’intemporalité. Une lumière stroboscopique immobilise l’eau qui est une matière en mouvement perpétuel. «J’étais fasciné par l’eau et le fait que c’est une masse très instable. L’eau est synonyme de mouvement, ce qui crée une contradiction entre une lumière stroboscopique ou un flash qui immobilise le temps.»
Élaborée sous la direction du commissaire Marc Lanctôt, l’exposition met de l’avant des œuvres phares de l’artiste, dont l’une de ses premières créations, Beauty (1993), qui crée une brume de lumière colorée dans une pièce sombre. Il sera également possible de s’aventurer dans un pavillon à trois chambres, Multiple Shadow House (2010), qui propose un jeu d’ombres de couleurs multiples généré par les visiteurs qui s’y promènent. Chacun s’interroge alors à savoir s’il s’agit de son ombre ou de celle d’une autre personne. Une perte de repère provoquée de façon délibérée par Eliasson. On pourra choisir de s’y abandonner et même, de s’y retrouver.
Au Musée d’art contemporain de Montréal
Jusqu’au 10 septembre