Avec les églises qui se vident (entre autres de leurs tableaux, on en parlera plus loin) et la baisse de popularité de la religion, il peut paraître surprenant de présenter une exposition de taille consacrée à l’art religieux en 2017. Pourtant, les tableaux présentés dans cette expo d’envergure au MNBAQ, et surtout la fascinante histoire qui se cache derrière, sauront captiver le spectateur contemporain, dévot ou pas.
Petit voyage dans le temps
2017-1817: voilà 200 ans que l’homme d’Église Philippe-Jean-Louis Desjardins a entrepris d’expédier au Canada les quelque 200 tableaux sur lesquels il a mis la main après la Révolution française. Comme le raconte avec passion Daniel Drouin, conservateur de l’art ancien au MNBAQ et cocommissaire de l’exposition, il faut replacer le tout dans le contexte de l’histoire du Canada et du Québec. «Jusqu’à la prise de Québec, tout l’art est importé de France. Quand les paroisses ont besoin de tableaux pour leurs fidèles, ils les commandent en France. Mais à partir de 1759, le Québec est coupé de la mère patrie. Les rares artistes locaux autodidactes qui prennent des commandes ne suffisent pas à la tâche.»
Au début du 19e siècle, les abbés Desjardins (Philippe-Jean-Louis et son frère, Louis-Joseph) occupent de hautes fonctions dans le clergé québécois. Conscients du manque d’œuvres propres à susciter la dévotion chez les fidèles, ils cherchent une solution. Philippe-Jean-Louis, qui a étudié en France, y retourne pour acheter des œuvres. «Après la Révolution française, les églises ont été spoliées, vidées de leurs tableaux. Tout ce qui n’a pas été retenu par le Louvre ou les musées de province a été mis en vente. Il y a alors sur le marché de l’art français des centaines d’œuvres religieuses en vente», relate Daniel Drouin.
Le premier abbé Desjardins y trouve là la solution à son problème… et une belle occasion d’affaires. Entre 1802 et 1810, il achète près de 200 tableaux, peints aux 17e et 18e siècles, «ce qui constitue alors le plus important lot d’art religieux hors de France de cette époque», dans le but de les revendre aux églises québécoises. Philippe-Jean-Louis Desjardins devient alors, en quelque sorte, le premier marchand d’art au Québec.
L’histoire ne finit pas là
Les 120 premiers tableaux arrivent dans le port de New York en 1816. Afin de les dédouaner, un émissaire de l’évêque de Québec est envoyé au port. Il les ramène en carriole, en plein mois de janvier. Pour faire New York-Québec, ça lui prendra des semaines…
«Une fois les tableaux arrivés, en mars 1817, il faudra les décaisser, les dérouler, les restaurer, les remonter sur des châssis, les encadrer», énumère le conservateur. «Toutefois, il faut se rappeler la réalité artistique du 19e siècle: il n’y a pas d’académie, pas d’école des beaux-arts.» Les artistes responsables de ces tâches délicates proviennent de milieux surprenants: l’un des plus connus est Jean-Baptiste Roy-Audy, un peintre d’enseigne et menuisier, qui se fera la main sur ces tableaux, sans formation artistique.
Puisque le frère de Philippe-Jean-Louis, Louis-Joseph, est aumônier des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, la chapelle est réquisitionnée pour la cause. Pendant des mois, des curés de province se succéderont dans la chapelle pour acheter des toiles. Un clin d’œil aux marchands du temple?
Artiste et copieur
Ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des toiles commandent des copies, sans gêne. «À l’époque, les copies sont acceptées par la société. Les artistes se forment en copiant les toiles de maître. Les œuvres ont une valeur didactique, de dévotion avant tout», explique Daniel Drouin. «C’est ainsi que les tableaux des abbés Desjardins permettent la naissance de notre art. Ils sont l’élément déclencheur de la naissance d’un art typiquement québécois, canadien-français.» C’est grâce à la restauration et aux commandes de copies que Jean-Baptiste Roy-Audy, Joseph Légaré, Antoine Plamondon et Théophile Hamel apprendront à peindre et poseront les premiers jalons de l’art en sol bas-canadien.
En regardant de plus près à la fois les œuvres originales et les copies (souvent de tableaux dont on a perdu la trace ou qui ont été détruits), on remarque certains détails étonnants. Plusieurs ont été «augmentées» (on a prolongé la scène) pour s’accorder avec d’autres tableaux de grande taille, comme Saint François de Paule ressuscitant un enfant de Simon Vouet, peintre à la cour de Louis XIII. Jouxtant le tableau de Vouet, la copie de Joseph Légaré donne une idée des vraies couleurs de l’original, ayant été peinte avant que la toile de Vouet ne soit restaurée. De même, les trois Marie-Madeleine côte à côte montrent qu’à la demande de l’église, on a ajouté des «repeints de pudeur» aux copies, afin de cacher les bras nus et la forme des seins. Celle de Roy-Audy, la plus habillée, pleure beaucoup plus que ses deux comparses!
Savoir bien décrocher
Pour présenter la sélection d’une quarantaine de tableaux français et d’une vingtaine de copies québécoises, le MNBAQ a dû réaliser une opération délicate de dépose, c’est-à-dire de décrochage de tableaux dans plusieurs églises. Une tâche colossale: non seulement certaines œuvres sont de très, très grand format, mais elles sont parfois accrochées à plusieurs mètres au-dessus du sol. «Nous en avons décroché 32 dans des chapelles et églises du Québec, avec une équipe de 10 personnes. Il a fallu enlever certains encadrements qui ne passaient pas dans les portes!» Une aventure si incroyable que le Monastère des Augustines a même diffusé le décrochage en live sur Facebook en mai dernier. Ou quand l’histoire rencontre la modernité, surfant sur 200 ans de patrimoine artistique et religieux.
Au Musée national des beaux-arts de Québec
Jusqu’au 4 septembre