Pour le joueur moyen, il peut être parfois difficile de concevoir justement l’immense tâche qu’est la direction artistique dans un jeu vidéo. Alors qu’on s’extasie devant les graphiques de plus en plus époustouflants des consoles et des ordinateurs modernes, il est plus rare que l’on considère la genèse de ce qui défile devant nos yeux, c’est-à-dire la véritable naissance d’un environnement visuel réalisé par des illustrateurs à l’imagination débordante. Raphaël Lacoste, directeur artistique senior sur la série Assasin’s Creed, explique sa profession: «Le métier évolue tout au long de la production d’un jeu. Comme directeur artistique, je suis le projet de la conceptualisation jusqu’à sa réalisation. Au départ, on définit un monde avec des illustrations avant qu’il soit modélisé et recréé en 3D. C’est avant tout un travail de création d’un genre de bible graphique avec laquelle on peut arriver, avant que les artistes 3D se mettent au boulot, devant le head office et présenter l’univers visuel d’un jeu.»
Travaillant actuellement sur Assassin’s Creed Origins (réalisé chez Ubisoft Montréal), dont l’action se situera au sein de l’Égypte antique, l’équipe de Lacoste s’est retrouvée devant un défi intéressant. Devant combiner un angle historique avec un autre très créatif, elle a eu à réimaginer une grande portion de la toile visuelle du monde qu’elle devait dépeindre: «Comme il ne reste actuellement que très peu de références en Égypte de ce qu’on voulait créer, on a eu beaucoup de marge créative. Bien que l’on se soit basé sur des références historiques, on a laissé place à notre imagination en se basant sur ce que l’on voulait transmettre visuellement: un monde très épique, qui déclencherait des émotions chez le joueur en ayant des dimensions extrêmes dans les bâtiments, en jouant avec les contrastes. Tous ces moments visuels impressionnants que l’on vit en jouant, ça part toujours de choix artistiques que l’on montre en dessin, avant tout. Un coup que c’est mis en 3D, je suis pour ma part garant de la qualité visuelle dans le jeu. Je dois m’assurer que tout ce qu’on a imaginé est efficacement recréé dans le moteur du jeu.»
Alors que le travail à abattre est absolument massif dans ce contexte semi-historique, celui de créer un univers de toutes pièces comprend également des difficultés très marquées. Si l’on n’est pas entouré de la bonne équipe, il peut s’avérer très ardu de fabriquer un monde où le joueur aura envie de passer des dizaines d’heures, de trouver le bon équilibre entre réalisme et imaginaire débridé. «C’est beaucoup plus complexe à réaliser, mentionne Lacoste, quand tu pars de rien. Il faut que tu aies des personnes avec toi qui ont des visions très fortes. L’inspiration vient toujours de choses que l’on connaît, d’une culture générale. On peut puiser dans Blade Runner pour dessiner les premières planches d’un jeu de sci-fi, par exemple. Faut avoir une bonne culture visuelle.» Il mentionne au passage que des gens de tous les milieux finissent dans son équipe. Alors que certains ont étudié aux Beaux-Arts, il y en a d’autres qui ont des diplômes scientifiques. «Le profil de l’illustrateur en jeux vidéo est incroyablement varié. Si on a une vision claire et un coup de crayon solide, on a des chances. Ça prend surtout une imagination très développée.»
À travers ses nombreuses années passées à mener la barque visuelle de la marque Assassin’s Creed, Raphaël Lacoste a également eu la chance de voir son métier évoluer grandement. Les contraintes techniques étant très importantes sur les anciennes plateformes, les artistes devaient volontairement modifier leur approche: «Ça nous forçait à nous rapprocher plutôt d’un côté cartoon. On voulait faire de très beaux jeux et on le pouvait, mais les limitations des machines nous empêchaient d’aller dans le réalisme, qu’on écartait donc des choix créatifs. Ça amenait des directions beaucoup plus graphiques, des ambiances plus fantastiques.» De nos jours, les processeurs graphiques permettant des prouesses visuelles inouïes, c’est précisément au directeur artistique de fixer les limites. «Je pense que l’art vient toujours avec des contraintes. Si tu te dis que tu peux faire n’importe quoi, ce n’est pas non plus une bonne chose. Il faut que tu te forces à créer dans des lignes plus définies. Si ta seule contrainte c’est de donner dans le réalisme, c’est à mon sens beaucoup moins intéressant, parce qu’il n’y a pas de direction, pas de choix.»
Assasin’s Creed : Origins paraîtra sur PC, PS4 et Xbox One le 27 octobre prochain