Arts visuels

Mitchell et Riopelle : Les vacances de 55

L’idylle est née dans l’exil, dans cette ville d’art et de fête qui héberge Riopelle dès la fin des années 1940. Lorsque les vies de Jean-Paul et de Joan se croisent, Paris est le centre de leur monde. Lui, il a déjà fait sa place. Elle, fraîchement débarquée, a encore tout à prouver.

Lui, on l’étudie dès le primaire. Elle, on ne la connaît pas tellement. Au Québec, Joan Mitchell est un secret jalousement gardé, une artiste un peu oubliée ou réservée aux milieux initiés. «Même aux États-Unis, on la redécouvre après sa mort!» C’est que la peintre, toujours selon le commissaire Michel Martin, a littéralement été adoptée par les Français. Une reconnaissance qui a filé entre les doigts de l’auteur de l’Hommage à Rosa Luxembourg, notre héros national, l’un des chouchous du MNBAQ. «Jean-Paul, oui, a ses heures de gloire dans les années 1950. Puis, à un moment donné, oups! il y a toute une critique en France qui va [le tasser], dire de lui qu’il est le Canadien, le bûcheron, des choses comme ça. C’est remarquable! Je reviens de Pompidou, ils font la collection des décennies 50-60, l’abstraction lyrique et tout. Si on le repose dans le temps, Jean-Paul était quand même une figure importante… mais il est absolument absent de ces murs. Ils ont pourtant ressorti tous les autres, même ceux qui n’avaient pas sa notoriété. […] J’ai trouvé ça un peu dommage, j’ai trouvé ça triste.» L’amoureuse de l’artiste, pour sa part, est évidemment du corpus. Elle est, encore à ce jour, l’un des visages les plus célébrés du courant dans l’Hexagone. Ses œuvres valent des millions.

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Jean-Paul Riopelle, Un coin de pays, 1962. Huile sur toile, 200 × 200 cm. Ambassade du Canada à Paris. Collection Affaires mondiales, Gouvernement du Canada. © Succession Jean-Paul Riopelle / SODRAC (2017). Photo: Archives Yseult Riopelle

La proposition du musée nous présente un personnage historique absolument fascinant. Une pionnière, un symbole féministe en soi, une dame qu’on imagine franche, déterminée, courageuse. «Elle est née à Chicago, elle arrive à New York au début des années 1950 et puis, rapidement quand même, elle va s’associer à tout le mouvement expressionniste abstrait. Elle est l’une des rares femmes à être acceptée dans le groupe. En 1951, elle participe à un événement important avec eux, l’exposition de la 9e Rue. Un gros show. À partir de là, elle est de toutes leurs réunions et tables rondes. C’est sûr qu’elle, elle considère ça comme un milieu macho. Elle est un peu garçonne, si on veut. Elle tenait son bout.» C’est toutefois outre-Atlantique, loin de ses boys, qu’elle se développe pleinement et trouve sa propre voie.

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Joan Mitchell, Sans titre, 1951. Huile sur toile, 187,6 × 203,2 cm. Collection particulière, Paris. © Estate of Joan Mitchell. Photo: Bill Orcutt

 

C’était écrit dans le ciel

Le travail des futurs tourtereaux, bien avant qu’ils se connaissent, trois ou quatre ans auparavant, présente déjà des similitudes tant sur le plan des teintes que de la composition. Les exemples du catalogue en page 9 sont frappants: La Ville (1949) pour Jean-Paul, Sans titre (1951) pour Joan. Des toiles qui, dénote Martin, rappellent celles du précurseur Arshile Gorky. «Ils ont quand même des racines [semblables], malgré le fait que l’un deux soit Canadien et l’autre Américaine, même si monsieur est Français de par sa production des dernières années. On est déjà dans l’abstraction, pour les deux. Ils ont des petits points de rencontre sans le savoir. […] C’est intéressant, parce qu’ils partagent aussi des intérêts, notamment leur admiration pour Van Gogh.» Un héritage impressionniste se manifestant dans leur palette, leur propension pour des sujets naturalistes.

Les concubins, forcément, se contamineront de leurs idées, s’inspireront mutuellement. C’est précisément l’angle de cette exposition, la première, par ailleurs, qui ne se soit jamais intéressée aux destins entremêlés de ces deux artistes notoires. «Tu ne peux pas vivre si longtemps avec quelqu’un pendant 25 ans sans qu’il y ait une écoute, des discussions, des partages d’idées. Bon, des fois, c’est une interprétation que je donne… Il reste quand même que certaines années, il leur arrive de faire des formes qui se ressemblent.»

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Photographe anonyme, Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle à Chicago, vers 1959, Archives de la Joan Mitchell Foundation, New York. Œuvre représentée à l’arrière-plan: Jean-Paul Riopelle, Sans titre, vers 1957, huile sur toile, 60 x 73 cm, collection particulière © Succession Jean-Paul Riopelle / SODRAC

Un couple dans la démesure, c’est le sous-titre de la présentation, réfère à leurs grands formats, ces pièces spectaculaires à l’image de leurs personnalités explosives, de la passion brûlante qui les consume. «En fait, ce qui est étrange, c’est que ce sont deux tempéraments forts. Très, très forts. Quelque part, et surtout dans les premières années, ils sont très amoureux et, en même temps, c’est deux peintres contemporains, donc ils sont des compétiteurs, d’une certaine façon.» Jean-Paul et Joan étaient rivaux, amants, foncièrement rebelles. Des personnages qui n’ont rien à envier à Diego et Frida, à Auguste et Camille. Ils incarnent un mythe romantique qui ne demande qu’à être étalé, sérieusement analysé, découvert par les nouvelles générations. C’est le genre d’histoire que les cinéastes portent à l’écran.

Du 12 octobre 2017 au 7 janvier 2018
Au Musée national des beaux-arts du Québec