Arts visuels

Et si on jasait diversité?

Malgré le long parcours de Nadia Myre, artiste montréalaise d’origine algonquine, sa renommée a pris du temps à s’installer. Nadia Myre expose des œuvres récentes au Musée des beaux-arts de Montréal en marge de l’exposition Il était une fois… le western, à l’occasion de la saison Elles Autochtones.

Elles Autochtones est une série d’initiatives du MBAM dans laquelle s’inscrit notamment l’exposition du travail de Nadia Myre et l’acquisition d’œuvres de Maria Hupfield et de Rebecca Belmore. «L’art est un cadeau pour moi.» C’est en fait celui qu’elle s’est offert en choisissant cette voix qui lui a permis de mieux comprendre ses racines. «C’était une façon de décortiquer mon identité mixte. Une façon d’entrer en contact avec un héritage qui ne m’était pas accessible en raison de la pression du colonialisme. C’est une façon de m’exprimer et de communiquer avec les gens.»

Nadia Myre est une figure forte et importante de l’art contemporain au Québec. Elle met à profit sa pratique pour engager des discussions autour de l’identité, du langage, du désir et de la mémoire. Le processus The Scar Project qu’elle a mené entre 2005 et 2013 en est un bel exemple. Pendant les 8 années consacrées à ce projet, l’artiste a accumulé plus de 14 000 histoires et blessures exprimées par des gens à travers des témoignages et des tissages. L’année suivant la réalisation de ce projet représente un point culminant, celui où elle a mérité le prestigieux prix Sobey pour les arts.

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Nadia Myre      photo Brian Gardiner

Ses œuvres se situent dans l’entre-deux, dans ce lieu «spécial» où des histoires culturelles trouvent un point de rencontre. D’abord intuitive, sa démarche se précise au fur et à mesure que le processus avance. C’est le cas de la série Code Switching qui s’articule autour de la pipe à tabac, dont certaines œuvres seront présentées au MBAM. On peut y lire l’héritage autochtone dans l’objet qui évoque également la culture de l’Ouest… les pipes étant fabriquées en Angleterre. En contextualisant de nouveau les pièces, Nadia Myre pose un regard sur le pouvoir qu’a un objet de créer des relations et des connexions. La création de ces œuvres a débuté au moment où elle a trouvé des perles blanches et cylindriques au bord d’une rivière. «J’ai demandé à quelqu’un d’où provenait ce que je pensais être des perles. On m’a dit qu’elles étaient des fragments des premières pipes commerciales européennes. La première chose que j’ai faite, c’est de les perler et puis de les photographier.» En ce sens, cette œuvre est similaire au processus que l’on retrouvait au cœur de son exposition Refaire le chemin qu’elle a présentée au McCord l’année dernière: «Il y a une forme d’intuition sur la nature de l’objet et un processus ancestral.» L’artiste cherche aussi de plus en plus à redimensionner les objets, les agrandir pour leur donner une autre résonance.

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Nadia Myre (née en 1974), Indian Act, 2000-2002, perles de verre, copie de la page 41 de la Loi sur les Indiens, ruban-cache, fil, feutre. MBAM, don de Stéphane Cauchies. Photo MBAM, Christine Guest

Les œuvres de Nadia Myre seront présentées en marge d’Il était une fois… le western au Musée des beaux-arts de Montréal. Une exposition qui s’intéresse autant aux aspects flamboyants de cette culture qu’à ses avenues sombres et peu abordées, comme celles des préjugés perpétués envers les peuples des Premières Nations. Donner une voix aux artistes autochtones au sein de l’exposition en marge de celle-ci a pour objectif d’offrir un éventail de points de vue, souligne la commissaire Geneviève Goyette, titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarislowsky en art québécois et canadien contemporain.

Elles Autochtones est le troisième épisode d’une vitrine offerte aux femmes par le MBAM, après Elles Aujourd’hui et Elles Photographes. Des initiatives qui annoncent peut-être l’urgence de donner une plus grande visibilité aux femmes en art, que ce soit en matière de genres ou de diversité culturelle: «Il reste beaucoup de travail à faire, souligne Nadia Myre, pour que les femmes autochtones se taillent plus facilement une place au Québec.» L’artiste a pourtant grandi ici et parle le français. Au-delà d’offrir des plateformes spécifiques comme une exposition, la discrimination systémique ne devrait-elle pas aussi être contrée par un effort individuel?

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Nadia Myre (née en 1974), Pipe, 2017, impression numérique, 110 x 166 cm, édition de 5. Avec l’aimable concours du CARCC et d’Art Mûr.

Pour la commissaire, c’est un souci qui se doit d’être constant: «Je pense qu’on doit, et ce, dans n’importe quelle exposition, s’assurer d’un minimum de représentativité. Quand on parle de représentativité, c’est aussi la diversité des générations, des genres, des origines des artistes et des types de pratiques. Cette diversité doit être multiple parce qu’en ne donnant pas la voix à tous, c’est comme si on ignorait une partie de la créativité.»

Du 14 novembre au 31 mars 2018
Au Musée des beaux-arts de Montréal