Arts visuels

Nicolas Martel : Tu aimeras ce que tu as tué

Il y a ceux, excessivement nombreux, qui quittent Québec pour Montréal. L’exil des jeunes est réel, surtout dans les cercles créatifs. Or, le photographe Nicolas Martel a fait le chemin inverse. Originaire de Rimouski, citoyen de Montréal pendant de nombreuses années, il s’est finalement établi dans la capitale.

La cité quatre fois centenaire lui a même inspiré sa plus récente série de plus de 1300 clichés qui viennent bousculer nos perceptions. Le fruit de longues balades urbaines, un catalogue exhaustif qu’il supprimera à l’occasion d’une soirée de vernissage dans un centre d’artistes du complexe de la Coopérative Méduse. Un acte vraiment radical qui évoque la destruction (trop fréquente) du patrimoine bâti hors du sacro-saint arrondissement historique.


L’inventaire arbitraire des textures et atmosphères de Québec est un projet vraiment spécial. Toutes les photos seront détruites et les pages de ce livre, imprimé en un seul exemplaire, seront déchirées par les visiteurs. Pourquoi as-tu choisi de clore ton projet et ce cycle de création de façon si dramatique?
Un bâtiment, c’est un peu comme un livre. Quand il est debout, on peut le lire et y retirer toute l’information sur place, grâce à l’observation. Quand l’on détruit un édifice, c’est un peu comme si l’on déchirait les pages du livre. L’information est dispersée, elle existe dans la mémoire des gens pour progressivement s’oublier. Le projet est un parallèle de cette métaphore : on repart avec un morceau d’un livre, avec un petit morceau de ville, une petite part de souvenir.

Pourquoi avoir choisi Québec pour la réalisation de ce répertoire, de cycle de création?
En arrivant à Québec, j’ai été frappé par la diversité visuelle de la ville, j’ai commencé à documenter mes marches et en parallèle j’effectuais beaucoup de recherches sur la documentation photographique de la ville. Je suis tombé sur les inventaires patrimoniaux réalisés au cours des années 60-70 et l’idée m’est venue de jouer avec ce mode de documentation. Le projet est le premier d’une série qui explore les possibilités de l’inventaire en tant que mode de création artistique.

Nicolas Martel (Crédit: Juliane Charbonneau)
Nicolas Martel (Crédit: Juliane Charbonneau)

Quand l’on détruit un édifice, c’est un peu comme si l’on déchirait les pages du livre. L’information est dispersée, elle existe dans la mémoire des gens pour progressivement s’oublier. Le projet est un parallèle de cette métaphore.

Lorsqu’on parle d’architecture locale, c’est toujours la cité intra-muros qui vole la vedette. Or, toi, tu ne t’y limites pas. Tous les quartiers centraux y passent! Trouvais-tu ça important de casser l’image de carte postale?
Oui! Quand on fait une recherche sur la production visuelle de la ville, on tombe principalement sur les mêmes points de vue du Vieux-Port et du Vieux-Québec et quasiment rien une fois sortis de St-Roch et St-Jean-Baptiste. Ayant grandi en région avec de la famille vivant dans les banlieues, mon expérience de Québec est bien loin de la vision carte postale rattachée à la ville. La situation de l’image de Québec ressemble beaucoup aux situations d’autres villes à vocation touristique où les monuments historiques sont mis en valeur, mais pas la vie des habitants du lieu.

L’une des idées reçues sur Québec, c’est que ça ressemble « donc ben » à l’Europe, à la mère Patrie… Est-ce une impression que tu partages?
Québec, c’est un mélange qui comprend l’influence de l’architecture française, britannique et américaine, dont le tout est adapté à un climat qui a forcé les résidents à développer des solutions. On sent les influences de l’Europe, mais la ville est bel et bien nord-américaine. Cela s’affirme plus clairement dès qu’on s’éloigne du centre vers la première couronne de banlieue : on voit la mixité d’influences architecturales se résorber et le modèle suburbain prendre toute la place.

(Courtoisie de l'artiste)
Nicolas Martel (Courtoisie de l’artiste)

Tu as vraiment photographié une quantité phénoménale de maisons et  d’édifices publics, tu as ratissé toute la ville dans ses moindres recoins. En quoi dirais-tu que notre cité se démarque des autres en Amérique du Nord?
Québec est une ville qui a su profiter très tôt de son potentiel touristique. Il y a eu des efforts pour conserver les fortifications à un moment où l’on avait tendance à les démolir pour répondre à l’expansion urbaine de l’industrialisation. La ville s’est adaptée à tous les grands cycles touristiques du dernier siècle et demi et est un lieu fascinant pour comprendre les mécanismes de cette industrie et ses contrecoups.

Quelle est ta découverte la plus enthousiasmante? Un bâtiment méconnu, caché ou une redécouverte…
J’ai vraiment adoré photographier dans Saint-Sauveur, il y a une variété assez impressionnante d’adaptations et d’ajouts patentés aux bâtiments, ça crée une richesse visuelle qui témoigne de la fierté des résidents pour leur chez-soi. Il y a une vue sur la rue Saint-François qui donne sur la Haute-Ville qui représente selon moi l’esprit de la ville. Vanier m’a aussi charmé par son caractère de quartier résidentiel de banlieue typique de la première moitié du XXe siècle, je risque de m’y attarder plus dans de futurs projets.

L’inventaire arbitraire des textures et atmosphères de Québec
Vendredi 15 décembre à 17h
VU (550, côte d’Abraham)