Antoine Nessi : Matière grise
Il est sculpteur, soudeur par la force des choses, philosophe à ses heures. Le Marseillais Antoine Nessi façonne l’acier et évoque un monde dystopique sans couleurs ni loisirs dans sa nouvelle exposition.
Antoine Nessi verse des larmes de métal. En résidence à L’Œil de Poisson depuis la mi-octobre, le Français temporairement déraciné a rompu avec son quotidien et vit dans un genre de bulle. À l’écart de la foule, il observe les employés des bureaux de Saint-Roch et analyse leur routine effrénée. La productivité et l’aliénation lui servent justement de thèmes pour cette création. «Je vais apposer des autocollants inspirés de slogans de startups. Des trucs que j’ai trouvés sur internet comme “Work hard and stay humble”, cette espèce de propagande de l’entreprise. Ces maquettes, c’est un peu des logements. C’est comme si on habitait sur notre lieu de travail.»
Le corpus se compose notamment de modèles réduits aux allures de petits fours qui servent de maisons à ses poupées de carton dont les visages ont été découpés dans des paquets de cigarettes. Des personnages prisonniers de leur dépendance et isolés des non-fumeurs à cause des législations en place – ici comme dans l’Hexagone. Nessi, lui-même accro à la nicotine, met les choses en perspective. «C’est une bonne chose, mais il y a tellement de soucis dans la société. On va pas écrire “La finance tue” sur les banques, tu vois. [Le tabac] n’est qu’un ennemi parmi tant d’autres.»
La Ferme des animaux
Exclusivement constituée d’acier brut, un matériau enclin à la rouille, l’installation de grande échelle qui trône au centre de la galerie rappelle un véhicule du RTC. Le plasticien force un rapprochement entre les usagers des transports en commun et les bêtes; il compare littéralement les humains à des vaches laitières. C’est un message à l’endroit des citadins pressés et résignés à leur sort. Des enclos de traite sont fusionnés aux bancs desdits passagers, une forme qui rappelle aussi celle des cubicules qui les attendent à destination. Le symbole est lourd de sens.
La structure permet également une rencontre insolite entre ville et campagne. «Ce sont des mondes qui sont dépendants, l’élevage nourrit tous les citadins, mais c’est deux mondes qui ne se touchent jamais. Ils sont dans des univers complètement séparés alors que, dans d’autres pays, il peut avoir des animaux en ville ou dans le bus!» L’étrange mobilier d’Antoine Nessi est décoré avec des boîtes de pizzas surgelées mises en cage, un clin d’œil au bovin et son pepperoni, son fromage. C’est le fruit d’une réflexion sur les aliments transformés dont on oublie parfois la provenance. «J’ai jamais été militant pour les animaux, j’ai jamais été végane, mais je trouve ça horrible quand même. […] On a un rapport très abstrait [avec la nourriture]. Et puis, ça me renvoie à l’humain. Si on traite les animaux si mal, c’est que ça dit quelque chose sur nous.»
Du 12 janvier au 11 février
à l’Œil de Poisson
Vernissage: vendredi 12 janvier dès 18h