Alberto Giacometti : Des hommes comme des ombres
L’exposition va au-delà des silhouettes longilignes, de L’Homme qui marche I, de la sculpture, du bronze. Le MNBAQ entame 2018 avec une rétrospective exhaustive et surtout surprenante.
Né en 1901 d’un père peintre et d’une mère sans page Wikipédia, Alberto Giacometti aurait pu rester cantonné au statut de « fils de » si ce n’eût été de sa curiosité insatiable. Son émancipation passera également par l’exil, ce déménagement de la Suisse vers la France à l’âge d’à peine 21 ans. Dès lors, il s’affaire à développer ce langage pictural qui le distingue de son géniteur puis de ses autres pairs.
Son esthétique sera d’abord marquée par l’admiration qu’il porte à l’endroit des artistes africains et des cubistes. De cette période fort riche subsiste sa Femme cuillère de 1927, une statue de plâtre, décrite par la commissaire Catherine Grenier en ces mots : « Il s’éloigne de la représentation ressemblante du corps humain en travaillant la structure de la sculpture, la géométrie. Cette œuvre-ci, elle est bien sûr inspirée par cette déconstruction des formes et quelque chose qui va devenir très important pour lui, c’est-à-dire toutes les formes d’art qu’on disait alors primitives. »
Que ce soit en évoquant les courbes de la femme à travers un ustensile ou avec une œuvre comme Boule suspendue (1930-31) qui évoque la pénétration presque sans détour, Giacometti a longtemps donné dans l’érotisme lubrique à peine voilé. Une période qui connaîtra une fin plutôt abrupte à la mort de Giovanni, son propre père, celui auquel il rend hommage avec Tête de crâne (1934) et Cube (1933-34). Une série marquée par le deuil, la mélancolie, des formes qui évoquent l’urne ou le sarcophage dans lesquels des restes auraient pu être placés.
La seconde portion de l’exposition marque un retour à la figuration, un goût pour le portrait. Il en réalisera une myriade avec son frère Diego pour modèle, d’autres avec sa femme Annette puis avec quelques amis dont le philosophe Isaku Yanaihara, l’écrivain Jean Genet et la femme de lettres Simone de Beauvoir. Des bustes à petites têtes et aux poitrines surdimensionnées, aux épaules qui évoquent la montagne, des toiles presque monochromes ou aux tons de terre, de l’art miniature façonné par moult détails. La production de Giacometti est, somme toute, assez éclectique.
C’est après la Seconde Guerre mondiale qu’il prend un virage déterminant avec la création de l’Homme qui pointe (1947), ce corps ultramince et androgyne, ce personnage au visage flou, aux traits génériques, à l’allure universelle, « un homme qui se livre dans toute sa fragilité », « un condensé d’humanité » pour emprunter deux formules efficaces de Mme Grenier. De cette première expérimentation cabossée du genre naîtra sa plus célèbre et populaire offrande, l’Homme qui marche (1960), le tiers d’un triptyque géant qu’il avait d’abord conçu pour le parvis de la Chase Manhattan Bank.
C’est fou de penser que son œuvre la plus emblématique est en fait née d’un échec personnel, d’une insatisfaction telle qu’il se refusera à ce gros contrat d’art public offert par la banque américaine. Ce qu’il jugeait lui-même inadéquat pour New York deviendra finalement l’objet de posters, la pièce que tout le monde connaît souvent inconsciemment, l’œuvre qui tend la main aux visiteurs dans les publicités du MNBAQ ces semaines-ci.
Giacometti
Du 8 février au 13 mai 2018
Au MNBAQ
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